J’ai vu ce film le matin de sa sortie, à l’UGC des Halles à Paris. Une salle remplie et, à la fin, des applaudissements nourris — dont les miens. Cette œuvre de salubrité publique se regarde comme un thriller parfaitement maîtrisé et agencé. On se souvient qu’Ozon est un réalisateur français de premier plan et tout dans sa « fiction » fonctionne à merveille, depuis les interprètes épatant jusqu’à un art consommé du montage. Et même temps, il ne s’agit pas d’un règlement de compte, le réalisateur s’efface devant les témoignages, tous plus authentiques les uns que les autres (à l’origine, ce devait être un documentaire). Oui, ce sont des êtres humains qui ici se cherchent, doutent, se souviennent, se confrontent, vibrent, se reprennent ou s’effondrent… tout occupés à revisiter leur passé. Pour l’assainir. C’est cette authenticité qui accroche et console le spectateur, forcément empathique, et aussi son adhésion : que la parole éclate enfin, avec cette évidence (que l’Association incarne) : « l’union fait la force ». La Foi n’est pas le sujet du film – « Dieu merci ! » dirait l’archevêque de Lyon, spécialiste en lapsus qui tuent ! – même si l’on sent à la fin (on le serait à moins) à quel point l’un des personnages est ébranlé et vacille quand son fils adolescent lui demande : « Papa, tu crois encore en Dieu ? » Car il ne faut pas éluder la grande question de la cohérence évangélique quand enflent les scandales : jusqu’à quel point peut-on à la fois attester la véracité du message du Christ et les contre-témoignages de certains de ses représentants ? Formidable hiatus qui ébranle et fait réfléchir. Personnellement, je suis sorti ému de la salle, à la fois retourné et conforté par la force des témoignages à qui Ozon a donné corps. L’Eglise, en tant que peuple de croyants, n’est pas directement mise en cause, rien à voir, seulement une hiérarchie, responsable mais non coupable, qui peu à peu a pris conscience de ses frilosités, de ses complicités, bref, de la Loi du silence régnant en son sein. Souvent trop tard ! Aujourd’hui, — car il faut être objectif — les choses changent dans le catholicisme et dans la gestion de ses défailles institutionnelles. D’abord, une prise de conscience de la pédophilie. Même si, ici comme partout, il reste des loups dans les bergeries… Demeure la saisissante complexité de l’être humain où sans cesse s’affrontent la tendresse et la sexualité, la responsabilité des aînés et la tyrannie de leur ego, de leur désir interdit, de leurs frustrations cuisantes et vite séductrices… À 8-10 ans, singularité si vulnérable de l’individu en face des compromissions massives et anonymes d’une l’Institution qui, obsédée par la Pureté, est surtout soucieuse de sa pérennité, loin du scandale. Le cas échéant, un simple déplacement du curé fera l’affaire… Comme ce serait simple ! L’âme d’abord, le corps plus tard, le sexe… jamais ! Puisqu'il n'existe pas. Impensable en Eglise, inimaginable, indicible. Mais la vie résiste, se bat, capitule ou reprend le dessus. À la fin de la projection, il n’y a pas de happy-hend (judicaire), pas encore, mais le spectateur ressort de la salle avec des tas de questions. Voici les miennes — celles d'un petit séminariste qui fut autrefois tripoté par un clerc devenu… évêque — : " Pour l’adulte qui prend conscience longtemps après les faits et témoigne des crimes subis, cette anamnèse volontaire n’est-elle pas pour lui, pour ses proches, aussi traumatisante… voire davantage ?… que la blessure enfantine qui, vaille que vaille, avait fini par cicatriser ? Faut-il lui (me) souhaiter une telle "opération vérité" ? Grâce à Dieu, il y a prescription ! Autre interrogation : jusqu’à quel point peut-on incriminer les déviations cléricales pour expliquer et justifier les ratages de sa propre vie affective ou professionnelle ? Un peu facile, non ? Etonnamment, des enfants pareillement agressés dans leur enfance, donnent ensuite un Alexandre, bourgeois à qui tout semble réussir, et un Emmanuel, passablement amoché et écorché vif. Reste enfin LA question qui plane du début à la fin de cette œuvre magistrale : qu’est-ce que le pardon ? À partir de quand peut-on pardonner ? Et jusqu’où ?... Et la charité peut-elle primer la justice ? Pas celle des tribunaux ecclésiastiques, mais celle des hommes. Pour avoir permis à ces questions, et bien d'autres, de prendre corps, et visages, bravo et merci, M. Ozon !