Tourné dans le secret en raison du pouvoir de l'Eglise dans la ville de Lyon, Grâce à Dieu parvient à démontrer jusque dans sa réalisation la sensibilité du sujet des abus sexuels sur mineurs au sein de cette institution millénaire.
Habitué des films ayant une portée sociale, le réalisateur François Ozon se concentre cette fois sur des faits réels : l'affaire Preynat, ensuite devenue "affaire Barbarin". En 2016, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, est accusé de n'avoir pas signalé des attouchements sexuels sur mineurs commis par l'un des prêtres du diocèse, Bernard Preynat, sur trois anciens scouts. Les faits remontent à la période comprise entre 1986 et 1991, voire à la fin des années 1970 pour certains d'entre eux, donc sous l'épiscopat de Mgr Decourtray, également accusé de ne pas avoir signalé les faits. Progressivement, au fil des mois qui suivent, pas moins de 70 victimes présumées sortent du silence et livrent leur témoignage contre le père Preynant. Mais la justice, une fois encore, ne fait pas son travail, et l'affaire est plusieurs fois classée sans suite. Précisons d'ailleurs que le cardinal Barbarin fut soutenu par plusieurs personnalités dont Gérard Collomb, maire de Lyon et ancien ministre de l'Intérieur, ainsi que Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Il faut attendre le 7 mars 2019 pour que le cardinal Barbarin soit reconnu coupable de non-dénonciation d’abus sexuel et condamné à six mois de prison avec sursis. La sortie de Grâce à Dieu quelques semaines plus tôt n'y est peut-être pas pour rien, même si Stéphane Ozon s'est toujours défendu d'avoir fait un film à charge contre l'Eglise. Pour lui, l'objectif est de la confronter à "ses erreurs et maladresses" pour susciter une remise en question.
Acclamé par la critique, Grâce à Dieu ne cache pas son engagement et présente une esthétique proche du drame social et du documentaire. En abordant un sujet grave et sensible, François Ozon fait preuve d'une grande sobriété et donne la parole aux victimes sans jamais tomber dans l'accusation violente d'agissements pédophiles pourtant condamnables. Pour développer ce drame humain, le cinéaste a justement fait le choix pertinent de se concentrer sur l'aspect psychologique, en abordant les souvenirs, les doutes et les répercussions d'une libération de parole bienvenue mais souvent douloureuse pour les victimes et leurs proches. C'est ainsi l'occasion de découvrir que toutes les victimes ne surmontent pas cette épreuve de la même manière. Alors que certaines renoncent à une quête de vérité et de justice car elles ne trouvent pas la force de sortir du silence, d'autres menacent de basculer dans une forme de militantisme accusatoire et parfois répréhensible dans sa manière de s'exprimer. Dans tous les cas, la prouesse de François Ozon réside dans cette dimension humaine et psychologique, au plus proche d'êtres humains victimes du long silence et de l'inaction d'hommes censés être dévoués au bien commun.
Toutefois, bien que l'intention du réalisateur soit tout à fait honorable, j'aurais deux reproches à faire à son oeuvre. La première concerne la durée du film, trop longue, qui aurait pu être rabotée même si je reconnais que le traitement psychologique des personnages et l'empathie qu'on peut ressentir en voyant leur détresse risquerait d'en pâtir. La seconde, qui reste mineure, concerne le scénario. En voulant montrer l'ampleur et l'étendue des attouchements sexuels perpétrés par le père Preynat, je crains que François Ozon ne soit tombé dans une forme de caricature absurde en révélant que deux des trois compagnes de victimes sont également concernées par cette affaire, une coïncidence qui semble un peu trop grosse pour être vraie.
Quoiqu'il en soit, ces reproches anodins ne peuvent contrarier la pertinence du film, dont l'objectif est de permettre à l'Eglise d'ouvrir la voie à une phase de remise en question, qui a d'ailleurs commencé à s'opérer quelques jours après la sortie de Grâce à Dieu dans le cadre du sommet du Vatican consacré à la pédophilie dans l'Eglise. Durant quatre jours, 190 responsables religieux du monde entier se sont réunis pour écouter des témoignages de victimes et les conclusions du pape François. Mais dans les faits, comme l'a dénoncé l'association "La Parole libérée", mise en avant dans le film, peu de mesures concrètes ont été prises.
Le travail est donc encore long pour que l'Eglise reconnaisse, accepte et oeuvre concrètement pour sanctionner et abolir ces pratiques criminelles, mais c'est aussi grâce à des cinéastes engagés, comme François Ozon, que la vérité et la justice ont le plus de chance d'aboutir.