Alors qu’il l’avait tourné dans le plus grand secret, François Ozon ne pouvait pas rêver mieux comme publicité pour son nouveau film. En effet, en s’emparant de l’affaire de pédophilie qui a secoué le diocèse de Lyon (révélée à peine quelques semaines après la sortie en salles du poignant "Spotlight"), il a été dans le collimateur des avocats du prêtre Bernard Preynat, lesquels ont essayé de faire reculer la date de sortie de ce long métrage en agitant la bannière de la présomption d’innocence. Il n’en fallait pas plus aux médias pour se saisir de cette polémique et l’étaler sur les journaux qu’ils soient télévisés ou écrits. Grâce à Dieu (facile, hein ^^), François Ozon a fait preuve d’une intelligence remarquable, et justice a été rendue en autorisant la sortie de son film à la date initialement prévue. Son intelligence se remarque dès le générique du début, en affirmant qu’il s’agit là d’une fiction tout en se basant sur des faits existants et déjà rendus publics. Est-ce là une manière de dire qu’en aucun cas il ne portait le moindre jugement sur cette affaire ? Toujours est-il qu’il confirme cet état d’esprit en reprenant les verbatim. Ces mêmes faits ont vite fait d’influencer l’opinion. Chez n’importe qui. C’est normal. C’est humain. Et ils sont tout bonnement scandaleux. D’autant plus scandaleux lorsque ça vient de quelqu’un qui est supposé être irréprochable, de par son titre et ses fonctions. Mais là où Ozon s’est montré incroyablement malin, c’est qu’il a opté pour un point de vue depuis les victimes. Des gens comme vous et moi. Des gens lambda. Des gens que vous côtoyez peut-être, que vous sachiez quel a été leur drame ou pas. C’est en toute logique qu’à travers cette réalisation on ressente ce qu’on ressentirait de toute façon vis-à-vis de cette sombre affaire, sans pour autant parler de parti pris. Même si pour le public, l’idée est déjà toute faite. A côté de ça, il n’y a aucun discours politique. Ni même du côté religieux bien que sur ce point de vue-là, Ozon a pris soin d’expliquer dans les grandes lignes la loi du silence exercée par le catholicisme, tout du moins les mécanismes par le biais des mesures prises (quand elles existent) pourtant jugées aux yeux de tous insuffisantes, à défaut d’être radicales. D’une certaine façon, au risque de choquer, cette omerta se comprend parce qu’il faut reconnaître que ce genre de crime (parce que ça en est un) fait désordre dans une institution comme celle-là, notamment quand celle-ci existe depuis plusieurs siècles. Cela ne veut pas dire que j’approuve cette politique de l'autruche, bien au contraire je la condamne avec la plus grande fermeté. Comme vous, ça me révolte ! Entre parenthèses, j’avoue voir d’un bon œil la tendance actuelle qui voit Rome commencer à faire le ménage dans ses rangs par les destitutions, mais il y a tant à faire encore. Mais voilà le mot qui convient : la révolte. Par des paroles maladroites (ou pas), les comportements, l’immobilisme de l’institution, c’est ce sentiment de révolte que va connaître le spectateur après être passé par le stade de la stupéfaction. La preuve en est sur les broncas qui s’élèvent de la salle sur certaines répliques, ou sur certaines actions. C’est là que la réalisation de François Ozon est remarquable : par une caméra qui a réussi à plonger dans le quotidien des victimes (nous en suivront trois en particulier) sans que cela apporte la moindre gêne visible, le public vit leur histoire. Ozon est parvenu à éviter le piège du parti pris, mais est-il arrivé aussi à ne pas succomber au ton mélodramatique. Pièges pourtant faciles ! Effectivement ! Mieux, un soupçon d’humour a été incorporé, notamment lorsque les victimes se trouvent confrontées entre elles. Pour ce qui est de la réalisation, elle est dans sa plus stricte simplicité. Ou plutôt devrais-je parler de sobriété. En tout cas, il n’y a aucun effet de style pour appuyer tel ou tel événement. Non seulement les répliques se suffisent à elles-mêmes, mais en plus la caméra s’est tenue au plus près des victimes. Ainsi, nous vivons au même titre qu’elles les témoignages de soutien, l’incompréhension des enfants, et même le désintéressement de certains (le frère de l’un, le père de l’autre…) pour parler gentiment. Parce que François Ozon nous permet de partager l’intimité de ces personnages : quand ils parlent de ce qui les rongent, la réaction qu’ils ont quand tout remonte à la surface, les souvenirs enfouis depuis longtemps par l’intermédiaire des flashbacks, le chamboulement de la vie de famille, la difficulté à créer une association, le contenu même des discours publics qui doivent se révéler « politiquement corrects » comme on a coutume de dire dans ce genre de cas… Alors oui, nous le public, accompagnons avec tout notre soutien ce combat qui s’annonce long et difficile, lequel ne manque pas de transformer ces hommes et de voir leur vie au quotidien se changer au fil des jours, des semaines, des mois. D’autant que la prestation des acteurs sonne juste dans la peau de ces personnages somme toute très différents les uns des autres. Comme quoi, personne n'est à l'abri, quels que soit sa condition, son niveau social. La qualité du jeu d’acteur vaut autant pour les rôles principaux que pour les rôles secondaires. Cela va du trio de tête Melvil Poupaud/Denis Ménochet/Swann Arlaud que pour les personnages interprétés par Josiane Balasko, Hélène Vincent, François Chattot et tous les autres impliqués dans le drame d’un des leurs, en passant bien évidemment par Bernard Verley en Père Breynat, pivot central de cette affaire à la dimension sordide et homme pour lequel on se surprendra à l’insulter de tous les noms d’oiseaux lors des flashbacks paradoxalement suggestifs et évocateurs, mais pour lequel on le voit comme un pauvre type même s'il n'a aucune excuse. "Grâce à Dieu" est donc un excellent film qui aurait pu aussi bien être décliné en documentaire, car il dresse le portrait de personnes qui trouvent leurs forces dans leurs faiblesses passées, tout en étant engagé sans que ce soit une vindicative politique ni même religieuse, mais seulement sur le poids des responsabilités de chacun. Et pour couronner le tout, la narration est si fluide, le récit est si réaliste, qu’on arrive sans peine au bout des 137 minutes, lesquelles se concluent par le stade actuel de l’affaire présentée ici. Alors quand on prend en compte tous ces éléments que le cinéaste a manipulé, il me semble difficile de ne pas attribuer la note maximale, alors que j’étais parti pour donner (seulement) un 4 ou 4,5 sur cinq. Comme quoi, de rédiger un petit avis finit d’ouvrir les yeux sur une œuvre parfois…