Ca y est, Paul Thomas Anderson a retrouvé toute sa verve. Après « The master » et « Phantom thread » qui souffraient d’un certain classicisme, on retrouve dans « Licorice Pizza » le ton et la vitalité qui avaient fait de « Magnolia » et de « Punch drunk love » des films si mémorables. Un cinéma créatif, osé et d’une légèreté indéniable.
A la manière de « Magnolia », « Licorice Pizza » ne raconte pas une histoire mais une collection d’histoires qui, mises bout à bout, forment une trame. Mais là où « Magnolia » suivait l’itinéraire de plusieurs personnages qui n’avaient pas forcément de liens entre eux, « Licorice Pizza » s’attache à la rencontre de Gary, lycéen pressé de grandir et d’entreprendre, et d’Alana, jeune femme de dix ans son ainé mais bourrée d’incertitudes, qui se croisent lors de la photo de classe du premier en début de film et vont comprendre au fil de chacune de ces histoires, qu’ils sont faits l’un pour l’autre.
« Licorice Pizza » est un conte sentimental, mais un conte sentimental qui sort de l’ordinaire. Il se regarde comme une suite de chapitres distincts qui se succèdent grâce à d’étroits liens habilement mis en avant par Paul Thomas Anderson. Chacun de ces chapitres reste centré autour des deux personnages de Gary et d’Alana, qui y cherchent individuellement leur voie en s’essayant à différentes activités. Leur accumulation de déceptions et de mésaventures au sortir de chacune de ces activités dessine progressivement une trame, dont on devine rapidement l’épilogue.
Ce conte sentimental aurait très bien pu avoir pour cadre l’époque contemporaine. Paul Thomas Anderson choisit, au contraire, de le situer dans le contexte de l’année 1973, dont il restitue l’atmosphère avec énormément de précision : les boutiques, les intérieurs, le parc automobile de l’époque, rien n’est laissé au hasard, sans oublier la formidable BO qui inonde le film de chansons des Sixties and Seventies. Surtout Paul Thomas Anderson se livre à une véritable satire de la société californienne des années 1970, que la frénésie de consommation pousse à acheter des « water beds » et autres articles parfaitement inutiles et qui se retrouve prise au dépourvu dès l’annonce du premier choc pétrolier. Une société éprise de liberté mais qui reste très compartimentée en communautés distinctes et où les précurseurs d’Harvey Milk devaient tenir secrète leur homosexualité s’ils voulaient conserver une chance d’être élus.
Cette reconstitution millimétrée de l’année 1973 est agrémentée de dialogues déroutants, souvent très fins. Le spectateur jubile au fur et à mesure que les répliques fusent portées par l’énergie et l’insouciance dont font preuve les deux principaux personnages. Paul Thomas Anderson soigne également la mise en scène et fait preuve d’une incroyable créativité dans sa façon de filmer. Il multiplie les travellings latéraux pour montrer notamment les deux jeunes amoureux courant l’un vers l’autre. Il a recours aux plans en surplomb à plusieurs reprises, mais réalise surtout cette prouesse technique consistant à filmer certaines scènes au travers d’un miroir ou d’une vitre dans lequel se reflètent un ou plusieurs personnages.
Le casting est un autre point fort de « Licorice Pizza ». Alama Haim et Cooper Hoffman, qui débutent tous deux à l’écran, mettent leur jeunesse et leur fougue au service du film qu’ils portent sur leurs épaules de la première à la dernière image. Paul Thomas Anderson a choisi de les entourer d’une pléthore de seconds rôles parmi lesquels on retrouve des acteurs plus que confirmés tels Sean Penn dans un rôle de star du grand écran machiste qui lui colle à la peau, Tom Waits en réalisateur chevronné et surtout Bradley Cooper méconnaissable en soi-disant amant de Barbra Streisand, persuasif et égocentrique.
« Licorice Pizza » atteint ainsi un niveau de perfection rarement égalé au cinéma jusque dans son titre si intriguant et dans le choix de certains costumes. Ainsi de la cravate ton sur ton de Joel Wachs pendant sa campagne électorale ou du costume blanc et cravate blanche assortis d’une chemise rose fuchsia que porte Gary lors des dernières scènes. Un film qui procure un sentiment de bonheur intense au sortir de la salle et donne l’impression d’avoir suivi une cure de jouvence de deux heures. Rares sont ces films. Raison de plus pour ne pas faire l’impasse.