C'est l'histoire d'une histoire d'amour qui ne filme pas l'amour, seulement ses symptômes les plus laids : l'utilisation de l'autre et la jalousie.
- Cette critique contient des spoilers -
Je n'ai pas compris Licorice Pizza, trop riche et trop peu didactique pour moi.
Je n'ai pas cru dans son étrange duo et encore moins dans leur histoire d'amour. Je ne suis pas rentré tout court dans une histoire aux scènes invraisemblables auxquelles je n'ai trop souvent rien compris (mention spéciale au resto japonais). Même le titre je viens juste de le comprendre, comme il désigne un magasin de musique, j'imagine que la pizza au reglisse représente simplement... un vinyl.
LE STYLE PTA
Quand on regarde Paul Thomas Anderson, on sait que les liens scénaristiques ne se dénouent jamais et que les situations vont rester en suspens, ne pas se résoudre. Cela n'empêche pas d'être déstabilisé devant un scenario qui balance des idées dans tous les sens sans les utiliser.
LOS ANGELES, L'AMERICAN DREAM, LES SEVENTIES
Au-delà des incohérences sur lesquelles je reviendrais, il y a beaucoup de choses qui m'ont gêné dans le récit. Déjà le cadre : le San Fancisco des années 70. Je n'ai aucune affection particulière ni dans cette période, ni dans cette ville régulièrement sacralisées par de vieux bourgeois, producteurs et réalisateurs hollywoodiens qui nous déversent leur vision nostalgique et fantasmée d'un âge d'or qui n'intéresse qu'eux... ou presque. Par chance, les critiques cinéma ont le même âge et la même sensibilité pour leurs années de jeunesse.
Il y a aussi l'héroïsation du pognon étalé à profusion sur une table, et avec lui celui, tellement contemporain, de l'entrepreneur. Même l'échec de l'entreprise de matelas gonflable n'est jamais filmé négativement. Au contraire, son dernier coup est d'un "panache" dingue puisque Gary tient tête à Bradley Cooper, vandalise sa baraque et fracasse sa voiture.
Cet apologie du business et du rêve américain se traduit aussi par la personnalité du héros : le gamin sous éduqué mais avec un aplomb dingue qui flaire les bons coups vient "sauver" de sa vie miteuse une photographe ratée vivant encore chez son père.
PTA filme l'hypocrisie des castings de recrutement et n'en réalise presque plus lui-même. Les bourgeois n'étant jamais aussi bien servi que par eux-mêmes, il a donné son premier rôle (au mérite) au fils d'un ami : Philip Seymour Hoffman. Il révèle d'ailleurs dans une interview que ce dernier s'est ridiculisé lors de ses débuts. Cela ne l'empêche pas de trouver sa prestation "amazing".
DES PERSONNAGES ET UNE HISTOIRE (D'AMOUR) INVRAISEMBLABLES
Commençons par le politicien car il est vraiment caricatural. Je ne sais pas si c'est un problème de performance d'acteur ou de construction de personnage (probablement les deux) mais il m'a suffit de le voir marcher pour savoir qu'il n'avait aucune chance, de le voir expliquer laborieusement pourquoi il n'avait pas de copine pour comprendre qu'il n'avait pas la stature d'un homme politique et de le voir oublier ses clefs et son portefeuille pour confirmer que Joel Wachs était une création scénaristique invraisemblable qui ne pouvait exister que dans un film. Mais l'étrangeté de cet homme n'est rien comparé à notre couple : la seule authenticité de Licorice Pizza vient du physique de ses vedettes : Gary a de l'acné et Alana n'est pas un avion de chasse. Ca fait du bien.
Seulement le gamin de 15ans se comporte comme un business man de 30 et Alana qui en a 25 comme une gamine de 12. Les dialogues alternent entre une justesse bluffante et un surréalisme absolu : tu ne peux pas à la fois ne pas aborder le sujet de la religion avant d'amener ton petit copain chez toi (surtout si tu es juif, surtout si à 25 ans ton père te traite comme une ado, surtout dans la famille d'Alana) et si tu le fait tu ne peux pas avoir sa réaction outragée "you're circumcised, so you're A FUXXXING JEW". C'est juste pas crédible, on y croit pas.
On a aussi ce premier date surréaliste dans un resto huppé. Gary, 15 ans ouvre la conversation avec un "What's your plan ?" QUI demande "quels sont tes projets ?" à son crush ? Personne et certainement pas un gamin de 15 ans. Le nombre de conversation et scènes invraisemblables m'ont vraiment empêché de croire dans ces personnages. Idem avec Bradley Cooper qui craignant de voir sa maison saccagée met la pression à Gary mais ne demande pas au majordome de les surveiller (notez que je ne relève pas les 5min sur Barbara Streisand tout aussi hallucinés).
Et puis certes le réalisateur fait le choix d'une héroïne qui ne soit pas une top model et tant mieux mais il lui applique les mêmes attributs hollywoodiens : pendant 2H30, Alana séduit tout ce qui bouge à l'écran depuis l'enfant star de 15ans jusqu'à Bradley Cooper en passant par une Sean Penn.
Cela nous permet d'arriver au problème principal de Licorice Pizza, au-delà des personnages inconsistants, cette histoire d'amour n'en est pas une. Les "infidélités" (systématiquement avortées) du couple semblent l'unique ressort de leur relation dans laquelle je n'ai jamais cru. Le montage ne nous montre pas leur amour naissant, seulement leur jalousie. A quel moment communient-ils, partagent-ils quelque chose ? Jamais ou presque. Par contre on les voit ne pas y croire (Alana au resto, Alana qui trouve bizarre de trainer avec des gamins de 15ans ou regarde Gary et ses potes masturber un jerricane). Leurs interactions sont terriblement toxiques : Alana est traité par Gary comme un asset commercial tout au long du film que ce soit au téléphone ou en maillot de bain en boutique. Leur histoire d'amour se résume à multiplier les tentatives d'aller voir ailleurs et se reprocher de le faire. Du coup lorsqu'Alana poursuit la voiture de police et que Gary se précipite après la chute en moto : on se demande pourquoi ils courrent.
DES FULGURANCES
- De dialogues : Elena a Sean Penn "are we in a movie ?"
- Scène (parodique) de retrouvaille devant un cinéma
- La sublimation de plans éculés : les mains qui se touchent sur le matelas à eau.
- La BO rock, c'est pas les titres les moins confidentiels mais comment ne pas jouir d'échapper au désormais incontournable trio de l'apocalypse auditif RAP, RnB, Pop ?
- La forme : les travellings horizontaux, les gros plans omniprésents et l'extraordinaire scène où Alana tient la chandelle au restaurant
- Les plans qui fourmillent de détails porteurs de sens : Gary, énorme, attendant son audition mais déjà visiblement trop vieux pour le métier d'enfant acteur
- F.B : "Le choix de filmer des événements et scènes qui ne soient pas capitalisés narrativement dans l'histoire d'amour"
- F.B : "PTA se pose contre l'ordre narratif et l'idée que la vie et le réel ne pourrait se saisir que sous le régime de l'histoire et de la narration. Il privilégie la situation, la séquence au récit. Ses scènes ne constituent pas de jalon, ne font pas avancer l'histoire."