"Licorice Pizza" : dans un lycée du Los Angeles des années 70, Gary attend pour la photo de classe quand il rencontre Alana. C'est l'assistante du photographe, elle a 25 ans, lui en a 15, c'est un enfant acteur qui a un peu trop grandi. Il la drague un peu lourdement, il lui donne rendez-vous, elle dit qu'elle ne viendra sans doute pas puis elle vient quand même. Une relation commence, mais de quel type ?
Après s'être peu à peu enfermé dans des films qui ployaient sous le poids de leur dispositif (The Master et Inherent Vice), Paul Thomas Anderson s'était délesté de beaucoup de choses avec son dernier film Phantom Thread (retour à une histoire plus linéaire, concentration sur une poignée de personnages, mise-en-scène moins lourde où il assurait lui-même la photo) et ce "Licorice Pizza" suit cette veine, en la complexifiant toutefois. Chronique, film de balades dans un Los Angeles baigné d'une lumière de fin d'après-midi, presque film à sketches tant l'intrigue semble sauter d'épisode en épisode, le film sonne de prime abord comme une récréation entre potes (Gary est joué par Cooper Hoffman, fils de Philip Seymour Hoffman, acteur fétiche et regretté du réalisateur - Alana est joué par Alana Haim, du groupe Haim dont Anderson a réalisé des clips, et dont les sœurs (et même les parents) viennent faire coucou aussi) dont la "fraîcheur" en ferait un film "mineur", poncifs de la critique s'il en est. Pourtant, tout bien pesé, on peut se demander si ce Licorice Pizza ne serait pas au final le film-somme de PT Anderson, sorte de Punch-Drunk Love qui aurait mangé Boogie Nights sous les lueurs de Magnolia...
Gary est un enfant acteur déjà bien trop grand pour les quelques rôles où l'on voudrait bien de lui, et qui essaie de se relancer comme entrepreneur, Alana a 25 ans mais vivote dans un état de post-adolescence fait de petits boulots en imaginant encore la vie d'après où elle ferait peut-être du cinéma ou de la politique... Malgré leur 10 ans d'écart, ils se retrouvent tous deux au seuil d'un âge adulte encore entrevu comme un rêve. Et c'est bien là que le film trouve son contrepoint, car à l'exaltation de la jeunesse (dont les nombreuses scènes de course des 2 personnages -l'un vers l'autre, l'un avec l'autre- sont le symbole le plus visible) répond la déliquescence d'un monde adulte vraiment pas jojo. Sexistes, veules, racistes, pervers, égoïstes, les adultes (le plus souvent des hommes) sont tous décevants, voire menaçants. Et si le film a l'élégance d'être (très) drôle, on ne peut empêcher un petit malaise face à ce monde sombre et de surcroît en crise (la guerre du Vietnam est évoquée, et la crise pétrolière est là) qui ne fait pas envie.
Et c'est là que le côté film-somme apparaît, tant Anderson n'a jamais trop montré de film où il fait bon vivre, s'intéressant bien plus souvent à des sociétés ritualisées, corsetées, des pièges pour les cabossés de la vie. Et à une nostalgie béate de la vie à L.A, le réalisateur préfère la stratégie du bonbon au poivre, doux en apparence mais qui laisse quand même un sale arrière-goût. Cette vision pourrait sentir le croche-patte à 3 kilomètres (on m'attire avec des ados rigolos pour me faire déprimer de la vie, Anderson, salaud !) mais, comme dans Punch-Drunk Love, comme dans Magnolia, le réalisateur a le bon goût de croire encore en l'amour, l'amour comme une force, comme une enclave dans un monde désespérant. Ce qui pourrait n'être qu'une bluette prend ainsi des atours quasiment politiques, et résonne comme une philosophie de vie à destination des générations futures (qui pour le coup font devoir se colleter avec un monde profondément désespérant), et qu'on aurait tort de ne pas prendre au sérieux.