Plébiscité par les plus grands festivals, couvert de récompenses, oscarisé et césarisé pour "Une séparation", tournant en France (Le passé), prochainement en Espagne, et, bien sûr en Iran, Asghar Farhadi, seulement âgé de 44 ans, est le réalisateur iranien vivant le plus connu et le plus reconnu. Une notoriété et une reconnaissance qui sont facilitées par le fait que, contrairement à un Jafar Panahi, Farhadi ne semble pas être dans le collimateur du régime iranien. "Le client", nouveau film sur le couple de ce spécialiste qu’est Asghar Farhadi, était en compétion au Festival de Cannes 2016 et il est reparti avec deux prix, le Prix du scénario et le Prix d’interprétation masculine attribué à Shahab Hosseini. Comme dans la plupart des films iraniens, Le client présente plusieurs niveaux de lecture. Bien entendu, on peut le voir sans chercher à voir midi à 14 heures : "Le client" est alors un film sur la vengeance, un film qui montre jusqu’à quels excès un homme peut aller lorsque son orgueil de mâle prend le pas sur l’évaluation raisonnable d’une situation, un film totalement universel dont l’histoire pourrait se dérouler tout aussi bien à Paris qu’à Téhéran. Un autre niveau de lecture amène le spectateur au cœur de l’Iran contemporain, un pays partagé entre modernisme et obscurantisme, un pays en pleine mutation avec une capitale, Téhéran, qui se transforme à grande allure, sans qu’on sache très bien à quoi ressemblera le bout du voyage : des quartiers sont démolis, des buildings sont construits, des immeubles vacillent, celles et ceux qui n’arrivent pas à s’adapter à cette modernisation rapide se retrouvent sur la touche. A ce sujet, le choix de la pièce que répètent Emad et Rama est tout sauf anodin : Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller, une pièce sur les conséquences des modifications rapides intervenant dans le cadre d’un métier, mais aussi d’une ville, New-York. Le New-York de la fin des années 40 auquel Asghar Farhadi compare le Téhéran d’aujourd’hui. On notera d’ailleurs que le titre original du film, "’employé de commerce" en persan, titre repris en anglais, "The Salesman", fait ouvertement référence à la pièce d’Arthur Miller. Par ailleurs, il n’est pas interdit d’aller chercher un troisième niveau de lecture en s’intéressant au comportement de Rama et en le comparant à celui de Emad : elle, beaucoup moins excessive, plus tolérante, refusant ce comportement sordide de vengeance. En fait, et ce n’est pas le premier film d’Asghar Farhadi qui laisse ce sentiment, c’est, pour le réalisateur, la femme iranienne qui représente l’espoir de son pays ! Film après film, Asghar Farhadi construit une œuvre qui marque son époque, d’une grande richesse quant au fond et magnifique quant à la forme. Entre un film tourné en France et un film tourné en Espagne, il nous propose dans "Le client", à sa façon, une photographie actualisée de son pays, l’Iran.