Grave est un film audacieux, viscéral, et résolument unique dans le paysage cinématographique français. Julia Ducournau, pour son premier long-métrage, propose une œuvre hybride mêlant drame familial, horreur psychologique et body horror, avec une ambition artistique qui force le respect, même si tout ne fonctionne pas toujours parfaitement.
Dès son ouverture, le film capture l’attention avec une scène mystérieuse et brutale. La caméra de Ruben Impens transforme des décors banals – campus universitaire, cliniques vétérinaires – en lieux oppressants et menaçants. Le travail sur la lumière, froide et presque chirurgicale, instaure une ambiance tendue, reflétant le conflit interne du personnage principal, Justine. Garance Marillier livre une performance impressionnante dans le rôle-titre, incarnant avec intensité l’évolution de Justine, de jeune fille naïve à prédatrice impitoyable.
Le récit suit Justine, une végétarienne stricte qui découvre un appétit inattendu et irrépressible pour la viande – et pas n’importe laquelle. Cette métamorphose est à la fois physique et psychologique, abordée avec une crudité qui met mal à l’aise, mais qui captive également. Julia Ducournau utilise la transformation de Justine comme une métaphore des pulsions humaines incontrôlables, qu’il s’agisse de désir, de faim ou de violence. Cette approche offre au film une profondeur thématique indéniable, mais à certains moments, le symbolisme devient un peu trop explicite, perdant une partie de sa subtilité.
Les relations entre les personnages, notamment celle entre Justine et sa sœur Alexia, interprétée par Ella Rumpf, constituent le cœur émotionnel du film. Leur dynamique, oscillant entre complicité, jalousie et rivalité violente, est fascinante et bien explorée. Cependant, quelques interactions secondaires, notamment avec Adrien, le colocataire de Justine, manquent de développement, laissant des zones d’ombre qui auraient pu enrichir davantage l’histoire.
En termes de mise en scène, Grave regorge de moments marquants. La scène où Justine dévore le doigt amputé de sa sœur est un modèle d’horreur à la fois graphique et psychologique. Pourtant, toutes les séquences ne parviennent pas à atteindre ce niveau d’impact. Certaines scènes, notamment celles impliquant le bizutage ou les fêtes étudiantes, s’éternisent sans apporter beaucoup à l’intrigue ou à la progression thématique. Ces passages ralentissent le rythme du film et diluent quelque peu son intensité.
Le gore, omniprésent, est utilisé avec une certaine intelligence. Il n’est jamais gratuit et sert toujours à illustrer la transformation de Justine ou à approfondir le malaise général. Cependant, la répétition de ces scènes choquantes finit par amoindrir leur efficacité. Ce qui, au début, est surprenant et dérangeant devient presque prévisible vers la fin du film, atténuant l’impact émotionnel que ces moments auraient pu avoir.
La musique de Jim Williams est un atout majeur, contribuant à l’atmosphère inquiétante et malsaine du film. Les crescendos oppressants et les silences pesants amplifient l’impact des scènes les plus marquantes, même si, par moments, la bande-son s’impose de manière trop insistante, surlignant des émotions déjà claires à l’écran.
L’un des aspects les plus intrigants du film est la manière dont il aborde la question de l’héritage familial. Le final, où le père de Justine révèle les véritables origines de la faim cannibale qui hante sa famille, est habilement amené, mais il arrive trop tard pour pleinement résonner. Cette révélation aurait gagné à être davantage intégrée dans le récit principal, au lieu d’être reléguée à une simple conclusion.
En fin de compte, Grave est une œuvre ambitieuse, qui ose explorer des territoires rarement abordés dans le cinéma français. Si son exécution n’est pas toujours à la hauteur de ses ambitions, le film reste une expérience mémorable, portée par une mise en scène soignée, des performances puissantes et un regard singulier sur les pulsions humaines. C’est une œuvre imparfaite, mais fascinante, qui mérite d’être vue pour sa capacité à provoquer, déranger et, parfois, émerveiller.