Un réfugié qui fuit son pays en guerre, un commercial qui fuit sa femme alcoolique : deux personnes qui jouent leur destin sur un coup de poker, au propre comme au figuré, et que l’entropie va réunir à l’écran dans leur volonté commune de changer de vie. Kaurismäki observe l’absurdité ubuesque des réglementations et des systèmes d’accueil, et dénonce l’égoïsme de la riche Europe retranchée derrière ses frontières tout en esquivant la posture du donneur de leçons: on peut même dire qu’il la tourne en ridicule mais à sa manière, toute finlandaise, sans décrisper la mâchoire, sans oeil qui frise, sans mouvement intempestif : il y a des salopards et de l’indifférence partout, mais aussi de l’humanité et de la générosité à revendre, même chez ce peuple de grands échalas silencieux et inexpressifs, dont Kaurismäki moque gentiment les traits de caractères nationaux, comme l’absence d’émotions apparentes ou les chansons déprimantes. Si l’idée semble sympathique,, je n’ai pas adhéré plus que ça au projet : je lui reconnais d’incontestables qualités, son regard humaniste, son drôle d’humour immobile, une personnalité et un style bien à lui, mais c’est le genre de trip d’auteur qui réclame une adhésion spontanée et instinctive à leur état d’esprit. Pourtant, mon intérêt pour Kaurismäki remonte à la découverte de son statut de référence spirituelle pour Delépine et Kervern, que j’adore. Quand j’avais vu “Le Havre� qui traitait déjà de la question migratoire et de l’humanité des gens ordinaires, j’avais mis mon désintérêt sur le compte de la France d’opérette que Kaurismäki dépeignait, bien trop surréaliste pour quelqu’un qui la connait un minimum. Une fois le cinéaste revenu sur ses terres boréales, je n’ai pu que constater que cette artificialité était assumée, souhaitée même, que ce soit dans ces curieux inserts de Film Noir ou dans ce restaurant qui sent la sitcom fauchée. C’est une manière de jouer avec les codes, de dédramatiser le réel pour mieux l’aborder sous l’angle de la fable, peut-être. En tout cas, ça crée une nette distance entre moi et le cinéma de Kaurismäki.