J’ai revu ce film que j’avais vu à sa sortie avec un grand plaisir, l’appréciant encore davantage. Réalisé en 2016, il semble en fait hors du temps, dans une sorte de dimension mythologique propre à la Grèce, dont d’ailleurs l’évocation des mythes, est constante. Ce n’est pas un hasard si l’héroïne de cette histoire est professeur de littérature antique. Qu’elle soit appréciée par des adolescents, en raison de son enseignement aimable, et quelque peu sexualisé, quand elle évoque les voyages d’Ulysse, est bien dans la manière d’Aldomovar, qui fait passer les registres ensorceleurs de la femme, de la comédie au drame.
Qui n’a pas eu envie d’avoir pareille professeur à 15 ans ? Pas étonnant que les cours de Julieta rencontre un tel succès, et que la directrice de son établissement la félicite ! Il faut se faire conteur pour susciter la passion, et mettre de la chair pour enflammer l’imaginaire et créer des vocations. C’est le grand mérite d’Almodevar d’avoir retenu ces principes.
Tous ces films s’articulent entre raison et sentiments, mais pas à la manière de Jane Austen. Almodevar est sans doute un grand cinéaste moraliste, mais lié à la conscience personnelle de chaque homme ou femme, et non au regard de la société, et de ses tabous. Il plonge parfois dans les thèmes les plus morbides, comme beaucoup de réalisateurs espagnols avant lui, mais il possède une telle énergie vitale, qui se voit dans le traitement, surfant sur la comédie, qu’on ne peut que le comparer aux héros antiques, Ulysse et Thésée, triomphant des gorgones, et faisant la nique à la mort, par l’énergie vitale qu’il développe
C’est à mon avis un des plus grands films d’Aldomovar, le fruit d’une maturité accomplie. Le thème central tourne autour de la culpabilité et du regret, de l’autoflagellation stérile, avec ses conséquences en chaîne, sur la dépression, la perte de l’estime de soi, et celle de ses proches.
La séquence du train, au début, où la jeune femme va se culpabiliser irrationnellement de n’avoir pas compris le message désespéré d’un voyageur solitaire qu’elle avait pris pour un harceleur, semble faire écho ensuite à cet autre drame personnel qui va toucher aussi sa fille par ricochet.
De toutes petites actions, des paroles manquantes, auraient elles suffit à enrayer la marche du destin, retenir celui qui faisait le pas de façon volontaire ou non, vers l’inéluctable, ou l’accident ?…
Le « si j’avais su » s’il est est constant n’est jamais évoqué. Bien que les individus soient conscients de leur névrose, ils semblent incapables de sortir de leur apathie morbide, restant dans un trauma dépressif.
Cette Julieta si entreprenante quand elle est jeune femme, va réussir à dépasser son deuil, et « refaire sa vie », en compagnie de sa fille qui grandit. Que surgisse un nouveau drame, lié à la volonté de sa fille de prendre ses distances et de partir sans laisser d’adresse, l’aura laissée désemparée, mais toujours combattante, et finalement pleine d’une colère salvatrice. Elle fait le ménage, déchire les photos et change d’appartement.
Qu’elle croise dans la rue, dix ans plus tard, la meilleure amie d’enfance de sa fille, lui donnant quelques éléments de communication qu’elle a eut avec cette dernière , par le plus grand hasard d’une autre rencontre fortuite, la voilà plongée dans une dépression qui va mettre en danger la relation avec son nouvel ami, pourtant plein d’empathie et de respect, qu’elle refuse de suivre pour vivre au Portugal.
C’est comme une fatwa, une malédiction, tant les femmes évoquées dans ce film semblent sombrer dans le même processus mortifère.
La femme morte après un coma du voyageur qu’elle rencontre dans le train, fait écho avec le sort funeste de la première épouse de son mari, et même à l’histoire de sa propre mère, sombrant dans la démence.
Ce film passant sans cesse d’une époque à l’autre, et du bonheur à la dépression, par le biais du journal que Julieta a décidé d’écrire, par besoin vital, comme une bouteille à la mer de sa fille disparue, ramène les moments clés. La maison de son mari pécheur, avec ses vues idylliques sur la mer est prégnante, et incarne la perfection de l’amour, et du refuge. C’est le jardin d’Eden, le miel de la vie. Si ce n’est qu’elle gardée par cette domestique, une étrange pythie, qui tachera dans un premier temps d’éloigner Julieta, avant de lui jeter plus tard cette mise en garde : Une femme doit rester au foyer, et renoncer à son métier au risque de voir le malheur entrer dans la maison.
C’est le combat entre la modernité et la tradition, la trace que celle ci laisse culturellement en nous. Nous avons beau nous convaincre que nous sommes libres, la parole des autres nous structure. Les choix que nous faisons ont aussi extrêmement d’importance sur la vie des autres. A travers nos fuites ou nos enthousiasmes pour eux, nous les autorisons à s’aimer ou nous les amenons à douter d’eux mêmes.
Il faut peut être être passé soi même par la dépression, le deuil, pour comprendre bien plus que dans le discours, notre responsabilité sur les autres. Ainsi nous reconnaissons alors comment nous avons pu être cruel , et stupide. Voilà le sens de la lettre que Julieta reçoit enfin, avant qu’elle ne parte à la suite dans un voyage de retrouvailles dont nous ne saurons rien