Julieta est un départ, le départ de l’homme que l’on aime tant ou de cet inconnu assis dans le même compartiment, de la mère qui a donné la vie, de la fille incapable de comprendre et de pardonner, du fils aîné, de même nom et soumis au même sort que son père, retrouvé noyé. Nul hasard si la rencontre entre Julieta et Xoan a lieu dans un train : leur relation – et celle de tous les protagonistes – est définie par le mouvement, la fuite en avant pour essayer d’oublier les fantômes qui peuplent le passé, le retour en arrière qui seul permet d’envisager un prochain départ. Les existences sont aussi précaires et instables que le statut de remplaçante scolaire occupé par la jeune professeure ; les maisons, les appartements se meublent et se vident, l’on déménage, l’on revient. Pedro Almodóvar compose, comme il sait si bien le faire, un puzzle mental dans lequel les pièces d’un vaste tableau familial s’agencent au fil des révélations et des hasards qui perturbent la linéarité du temps, une horloge sur un mur rouge passion et rouge sang. Mais la couleur dominante ici paraître être le jaune, d’abord en lettres qui éclosent et passent du blanc au jaune, enfin du nom éponyme tout entier qui s’illumine sur fond de paysage. Le film réussit à construire une trajectoire linéaire, perturbée par l’enchâssement des récits antérieurs, malgré la malédiction que prononce Rossy de Palma et qui pèse sur la famille, la condamnant à la répétition d’un même cycle de malheurs. Julieta est un chef-d’œuvre de douleur silencieuse, une plongée dans la solitude des femmes et des hommes qui osent aimer, qui osent recommencer, qui osent faire face à leurs responsabilités. La mise en scène est magistrale, et pour se l’assurer, il suffit de voir avec quelle simplicité et quelle audace le cinéaste orchestre la transition entre les deux actrices ; les actrices sont à l’image de la mise en scène, bouleversantes de justesse et de force. Almodóvar est certainement l’auteur sachant le mieux travailler le flashback comme procédé narratif et artistique capable de perforer un présent par un autre présent inscrit quant à lui dans le passé mais qui continue d’habiter le personnage. Son film est un départ fascinant dont les perspectives de retour, pareilles aux étincelles d’un feu qui lentement se consume et manque à tout moment de s’éteindre, irradient l’écran et nos cœurs.