Eh bah voyez-vous chers lecteurs, face à ce « The Circle », je suis très partagé… Tellement partagé que je ne peux m’empêcher de réécrire en permanence ma critique, juste parce que je suis infoutu de lui mettre une note dans laquelle je me retrouve. Finalement, ce sera donc « 2 étoiles » sur 5 possibles. D’un côté j’avais vraiment envie de valoriser ce que ce film cherchait à dire et qu’il parvient d’ailleurs (en partie) à illustrer plutôt clairement. D’un autre côté, j’ai beau vouloir être bienveillant, il y a quand même beaucoup trop de trucs qui sont mal foutus dans ce « The Circle » pour dire qu’au final, c’est un film à voir… Déjà, moi, le début, j’ai vraiment eu du mal à y adhérer. Etrange sensation que de se dire que le sujet nous intéresse, que les pistes ouvertes par l’intrigue nous intéressent, et que le film pourtant nous gonfle… J’ai donc cherché à comprendre quel était le premier « hic » de ce « The Circle » et je pense qu’il se trouve d’abord dans une écriture trop convenue et surtout beaucoup trop paresseuse. Tout le parcours du personnage principal est finalement déroulé linéairement, de manière très démonstrative, sans esprit de sélection. Alors certes, parce que tout y est et tout y est simple, l'intrigue n'en est que plus claire. D'un autre côté, j'avoue grandement douter du caractère vraiment essentiel de chaque scène.
Commencer le film en consacrant une scène entière pour nous faire comprendre à quel point Mae ne s'épanouit pas son travail, et que par conséquent elle va trouver dans la revalorisation affective et salariale de The Circle les motivations à son obéissance, était-ce nécessaire ? Ou plutôt, était-ce vraiment nécessaire de le dérouler ainsi, en un bloc spécifique et exclusif situé en début de film ? Je pense que cette mécanique de pensée est suffisamment familière à tous – du moins en ce qui concerne les populations qui sont ou qui ont été active – pour qu’on puisse imaginer traiter la chose plus rapidement, ou du moins de façon plus diluée avec d’autres thématiques. Seulement voilà, je pense que le problème était justement là : l’imagination…
Le problème de cette paresse d’écriture, c’est qu’on la retrouve un peu partout et un peu tout le temps. On la retrouve notamment quand il s’agit de nous présenter l’entourage familial, l’entreprise, les outils numériques, les collègues… Et ce problème de paresse est doublé quand on le retrouve aussi dans la forme. « The Circle » se revendique quand même d’une certaine forme d’anticipation et pourtant on a droit au final à une création visuelle et sonore en berne. Ah ça ! Je peux vous dire que j’ai parcouru ces interminables minutes d’exposition l’œil triste et l’oreille morne ! Il n’y a pas vraiment de choix formel opéré pour dire quelque-chose de cet univers par les sens. Tout est neutre. Le minimum accompli réside en ce seul bâtiment à l’architecture new-age bien fade. Rien de bien envoutant et de séduisant là-dedans donc, si bien que pour le coup j’avais clairement du mal à comprendre les phases d’extase très démonstratives par lesquelles Mae passait toutes les cinq minutes. (En même temps, si assister à un concert de Beck est pour elle le summum du fun, je peux comprendre pas mal de choses). D’ailleurs, on pourrait aussi en parler de cette pauvre Mae. Plus personnage-fonction qu’autre chose, elle n’est clairement là que pour permettre de dérouler la démonstration du film et c’est là qu’à mon avis la mécanique s’enraye le plus. Et ce n’est pas forcément l’utilisation de Mae en tant que personnage-fonction qui me dérange en soit. Après tout un film qui entend développer une démonstration se doit bien de passer par ce genre d’astuce pour être efficace. Seulement voilà, encore faut-il que l’illusion fonctionne et que le personnage ne se limite pas qu’à ça. Il faut qu’on puisse se reconnaître dans les émotions de ce personnage, ou au moins dans sa logique. Or, sur ce point, c’est assez catastrophique je dois bien avouer. Et c’est là pour moi que tout bloque. Moi je n’arrive pas à me projeter dans une intrigue dont la principale animatrice est aussi inconsistante. Mon souci, c’est que je considère que Mae, en tant que personnage, n’est ni capable de générer de l’empathie, ni capable de convaincre par sa logique. C’est un personnage lisse qui ne se limite qu’à un banal « j’aime mes parents et mes potes. » Rien de plus ne nous est malheureusement donné pour qu’on l’aime elle, dans sa singularité, pas plus que ses parents. Et ce qui est triste, c’est que sa logique ne parvient pas à compenser son manque cruel de relief. Un jour elle a des réticences et moque avec lucidité les excès de l’entreprise, et puis d’un seul coup, il faut que – pour les besoins de scénario – elle se transforme en un être totalement acquis à la cause et dépourvu de tout sens critique. Alors certes, il y a bien une explication, mais elle est vraiment fainéante et pas très crédible (
La veille, la nana se sent tellement oppressée par tous ces regards qu’on porte sur elle qu’elle en vient à fuir en kayak pour trouver un peu de solitude ; mais parce que c’est la technologie de The Circle qui lui permet de la sauver de la noyade, alors le lendemain elle se décide de lever toutes ses réticences auprès de la boîte et de s’y livrer en toute transparence. Non mais oh ! Là non ! Comment veux-tu qu’on accorde de la considération à ce que pense et ressent cette fille si on nous suggère que finalement son attitude n’est dictée que par des postures superficielles qu’elle peut retourner comme ça, par simple choix ?
) Et pour le coup c’est vraiment dommage parce que le déroulement de l’intrigue permet parfois de saisir de belles questions éthiques ! Mieux encore : ce film peut même se vanter de traiter la plupart de ces questions avec une réelle intelligence et clairvoyance. J’apprécie notamment beaucoup que le film ait su faire preuve d’ambivalence dans la façon de présenter chaque innovation proposée par l’entreprise. (
Certes, on critique bien le fait que les minis caméras peuvent tout espionner, mais d’un autre côté, on sait insister sur le fait qu’elles permettent d’améliorer notre quotidien, voire de sauver des vies ! Même chose pour les bracelets qui peuvent tracer les personnes tout en permettant un suivi médical hors pair.
) D’ailleurs, à ce petit jeu là, je ne pourrais nier le mérite qu’à ce « The Circle » d’être parvenu à pousser la démonstration suffisamment loin pour qu’elle puisse nous offrir quelques moments très signifiants comme
cette incroyable (et très flippante) course-poursuite visant le pauvre Mercer
, ou bien encore
les quelques illustrations bienvenues visant à montrer comment des entreprises aussi influentes pouvaient facilement influencer ou phagocyter le champ du politique
. Alors oui, à un moment, pour ces mérites là, j’étais prêt à lui attribuer quand même trois étoiles à ce film. Après tout pourquoi pas ? Certes, il se la joue facile dans ses effets d’intrigue, mais au-delà de ça il a le mérite de pousser assez loin et assez clairement la réflexion qu’il entend porter sur son sujet. Du coup je me disais qu’ils seraient certainement nombreux les spectateurs à y trouver leur compte dans ce « The Circle » et qu’au fond, même moi, je n’avais pas tant que ça à me plaindre… Donc soit… Why not… Mais bon… En faisant ce choix-là, d’une certaine manière, je validais implicitement le fait qu’on pouvait excuser la platitude des personnages. En faisant ce choix-là aussi, je validais aussi la linéarité du propos, et ses expositions bloc par bloc. Pire, en faisant cela, je validais une forme impersonnelle, irréfléchie et consensuelle qu’un sujet intéressant pourrait à lui seul justifier… Du coup, j’ai décidé de ne pas faire ce choix. Non, ce serait vous mentir : moi, ce genre de démarche dans un film, ça ne me satisfait pas. L’impersonnel, ça ne me satisfait pas. Le consensuel, ça ne me satisfait pas. Et ça ne me satisfait pas quand ça conduit un auteur à ne pas pousser son art jusqu’au bout. Par sa maîtrise du propos et de certaines scènes, James Ponsoldt démontre qu’il maitrise les codes du cinéma et qu’il comprend les problématiques du sujet qu’il traite. Alors oui, on peut se satisfaire de ce qu’il apporte, mais on peut aussi se plaindre de ce qu’il aurait pu apporter et qu’il n’a pas fait, par simplicité, par consensualisme, voire presque par lâcheté. OK, c’est chouette d’aborder la question du bousculement de la barrière vie publique / vie privée, notamment quand Mae se décide à livrer toute sa vie au monde entier. OK, c’est malin d’user de l’argument du
« après tout, si on est honnête on a rien à cacher, et si on est généreux on a tout à partager… »
Mais derrière, ça aurait quand même mérité que soit posée la grande question qui se cache derrière tout ça ; j’entends par là celle de l’intimité ! Parce que bon, réduire la chose à
la seule pose toilettes et à la sexualité de ses parents
, encore une fois c'est fort simpliste parce que moralement très consensuel. Alors qu'il aurait si intéressant d'explorer véritablement la question !
Mae est-elle légitime à réclamer de l’intimité pour enfreindre les tabous et les normes sociales chez elle dans son cadre privé ? Peut-on lui reconnaître le droit de s’y balader à poil si elle le veut ? De se masturber tranquillement sur son canapé si l’envie lui prend ? Ou bien encore de discuter de sujets polémiques en présence de personnes de confiance parce qu'elle aime ça ?
Avec ce genre d'approches, on creusait vraiment le sujet, parce qu’au-delà de questionner l’emplacement du curseur entre vie publique / vie privée, on pouvait même questionner sa nécessité et sa légitimité. Là on aurait pu reconnaître au film le mérite d’avoir vraiment réfléchi à toutes les intrications qui sont liées à cette question des réseaux sociaux et plus largement de la surveillance sociale ! Et même chose pour les enjeux posés en conclusion !
Que le film nous dise : « Au final, au lieu de lutter contre l’outil, apprenons à utiliser l’outil pour lutter contre certaines de ses utilisations », moi ça me va. Je réponds OK, c’est intéressant. Mais que le film décide de ne pas montrer ces formes de lutte, quelles en seraient leurs limites, ou bien encore quelles seraient les ripostes éventuelles du système face à ces luttes, eh bah je trouve que ça manque ! Et qu’on ne me dise pas que, pour le coup, se risquer à se projeter là-dedans ça devenait trop fantasque ! Non ! Ce genre de lutte existe déjà et alimentent même l’actualité ! Seulement voilà, sur ce point là aussi, le choix qui a été opéré à été celui de la simplicité et de la consensualité.
Eveiller les consciences pourquoi pas, mais il ne faudrait pas déclencher un débat non plus… Eh bah moi ça m’attriste ça ! C’est petit au fond. Et moi j’estime qu’on a le droit d’être exigeant… Donc non, à mes yeux « The Circle » ne peut être considéré comme un film satisfaisant. Non, je ne m’estime pas satisfait quand on peut plus et qu’on fait moins. Le gâchis ne me satisfait pas. Et si dans le monde des séries on a été capable de repousser les standards de qualité dans le plus grand intérêt de tout le monde, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire au cinéma… Exigeons-le, je pense qu’on aurait tous à y gagner… Après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)