« Boo ! Where is Sam ? Where is Sam ? Where is that little man ? »
Alternant musique chaude au violoncelle et cordes stridentes dans la plus pure tradition de musique horrifique, Mark Korven, compositeur canadien, décrit bien l’atmosphère de ce premier film réalisé par Robert Eggers, lui-même natif du New-Hampshire, un état frontalier du Québec, en Nouvelle-Angleterre : il y sera question des premières colonies britanniques, au XVIIème siècle, dans ce qui deviendra les Etats-Unis et plus particulièrement de la région de Salem, restée célèbre pour son procès en sorcellerie, mythe fondateur et révélateur du climat religieux dans lequel évoluèrent les descendants des premiers pèlerins et les colons nouvellement arrivés d’Angleterre.
Tout comme la musique et les longs silences qui l’entrecoupent, mais aussi les décors, les costumes et la photographie (somptueusement picturale), le tout particulièrement réfléchi, la diction des interprètes porte le film, majoritairement déclinée en prières. Inspirée de celle des Anglais du XVIIème siècle, elle permet une immersion dans cet univers sauvage et met en lumière les acteurs et actrices, dirigé·es de main de maître. Si le talent d’Anya Taylor-Joy, dont c’est la première réelle apparition au cinéma, n’est plus à démontrer, je me suis personnellement réjoui de voir le fabuleux Ralph Ineson, comédien injustement sous-exploité, dans un vrai grand rôle, ainsi que Kate Dickie, époustouflante, qui jouait, elle aussi, dans Game of Thrones. Sobre, le jeu des autres interprètes, principalement des enfants, ajoute encore à l’ambiance pesante de l’histoire. The Witch c’est un peu la Petite Maison dans la Prairie version Shining.
Thriller psychologique et chemin initiatique sanglant plus que film d’horreur, The Witch est surtout un magnifique exercice cinématographique parfaitement pensé, réalisé et maîtrisé, une longue suite, certes lente, de tableaux d’une rare et douloureuse beauté où l’on ne sait pas ce qui est le plus oppressant, de l’ombre surnaturelle de la sorcellerie ou de celle tout aussi surnaturelle de la foi. La réalisation en lumière naturelle, alternant plans fixes et lents travellings, permet d’atteindre, dans les scènes d’intérieur, au grain et à la profondeur des peintures les plus sombres de Rembrandt, contemporain des faits, sensation encore accentuée par le format 5/3. Une réelle prouesse artistique pour un chef d’oeuvre à la fois fantastique et terriblement réaliste.