Sans doute faut-il être né dans le New-Hampshire (New-England) pour devenir un artiste tel Robert EGGERS, auteur émérite de "The Witch" et bâtir ainsi de toutes pièces (ou plutôt à partir de celles des Procès de Salem en 1692) cette histoire impressionnante de présumée sorcellerie ? Voici donc son tout premier long métrage présenté (avec succès critique à l'appui) au festival de Sundance en 2015. La réalisation en est exemplaire, les physionomies des personnages totalement originales, les sept principaux acteurs (y compris Samuel, le nourrisson) tous excellents... Les plans suffisamment lents (ce qui déconcertera sans doute quelques microcéphales conditionnés à la mitraillette à images, avec des plans successifs ne devant pas dépasser 1,5 sec.) et leur composition patiente donne cette impression de constante inventivité et de magnificence picturale (Vermeer, Le Nain). Les séquences s'enchainent sans heurts ni tâtonnements : harmonieuses, emplies de poésie et de mystère. Le clair obscur règne, les éclairages évoquent les séquences inoubliables de "Barry Lyndon" (1975) de Stanley KUBRICK, les plans d'ensemble sur la lisière de forêt ont la force des meilleures séquences du "Midsommar" (2019) de Ari ASTER, les teintes bleues-grisées de la photographie comme ces silhouettes au liseré orange, évoquent celles du mémorable "The Duellists" (1977) de Ridley SCOTT. La force du récit tient du fait que l'on n'est de moins en moins sûr de rien... Réelle existence du diable ? Psychopathologie liée à l'isolement d'une famille dans la nature "sauvage", aux lourdes carences affectives dont souffrira chacun de ses membres ? Drame d'une folie collective pouvant monter comme une sorte de marée inexorable en chacun de nous ? "Simple" histoire d''instinct de survie d'une adolescente bien mal entourée ? Drame de la sous-alimentation ? Résultat calamiteux de la bigoterie de ces Puritains, dépeints avec tant de talent par Nathaniel HAWTHORNE dans ses 3 célèbres romans ? Duplicité trouble d'un mystérieux bouc noir ? Emprise effective d'une vielle femme nue hantant le sous-bois ? Chacune de ces interprétations n'exclue absolument pas la validité des autres... Les cinq enfants et leurs deux parents seront peu à peu confrontés au mal, cette entité qui peut venir de l'intérieur mais nous cerne aussi de l'extérieur : nous retrouvons ici les thèmes chers à John CARPENTER pour "The Thing" (1982) et "Prince of Darkness" (1987) avec leurs incessantes métamorphoses ; la maîtrise de la mise-en-scène y est ici du même ordre... Nous repensons également à "Cat People" / La Féline" (1942) et à " Vaudou"/"I walked with a zombie" (1943) de Jacques TOURNEUR, films considérés alors comme "série B" ou "films de genre" et devenus aujourd'hui mythiques... Robert EGGERS n'est pas un paresseux : tout comme David Robert MITCHELL pour "lt follows" (2014) ou Jordan PEELE pour "Get Out" (2017), il est un artisan extrêmement inventif, un perfectionniste qui se documente avant de créer... Quelques andouilles parisiennes blasées (pléonasme) ont déjà déprécié son travail (ils s'acharneront quelques années plus tard sur son flamboyant "The Lighthouse"), ce qui est bien logique de leur part ! La simple exigence professionnelle n'est plus la valeur de référence de certains... Il semble que ce tout petit milieu étriqué qu'est devenue "notre" cinématographie nationale-cocorico ronronne paisiblement en son (très reposant) manque d'exigence depuis déjà une ou deux décennies ; la critique (un rien parisienne) reste bien souvent "curieusement" indulgente ou aveugle face à ce fait - ce qui signale l'existence de probables et très solides "petits conflits d'intérêt" - dont ladite critique n'a probablement pas même conscience... On se dit tout de même que si seulement 5 % des réalisateurs de notre cinéma franchouille-contemporain-feignasse-amateuriste-mais-se-pensant-"pro" (où l'image qui tremblote, le cadre approximatif, le scénario improbable, les psychologies creuses de personnages bâclés et la direction d'acteurs erratique sont vus comme les normes de la "spontanéité" à la française : syndrome de la comédie irréaliste "hors-sol" interchangeable ou de la branchouillitude lassante post J.-L. Godard) possédaient le tiers de pareille exigence artistique ! Certes, il y a le travail de Jacques AUDIARD, Xavier BEAUVOIS, Eric VALLI et de quelques autres (se comptant sur les doigts de "maximum deux mains" !). Allons, allons, passons sur ce triste constat, mais soyons nombreux désormais à suivre la carrière de cet inventeur qui souhaite s'attaquer à un remake du "Nosferatu" (1922) de Friedrich-Wilhelm MURNAU bien que le cher et talentueux Werner HERZOG s'y soit déjà artistiquement cassé les dents en 1979 : et ceci, franchement, dénote à nouveau un sacré tempérament et un beau "culot" d'artiste ! :-)