Adapté de la saga de romans d’épouvante signée Alvin Schwartz, Scary Stories to Tell in the Dark gagne les écrans de cinéma à un moment charnière : il se situe entre la sortie de la troisième saison de Stranger Things et la suite et fin de Ça. Et cette place ne serait que coïncidence si elle ne correspondait pas aux codes esthétiques et dramatiques de l’œuvre en question, soucieuse de s’emparer de l’aventure adolescente tout en l’insérant dans une rugosité chère à l’univers de Stephen King. C’est dire que nous sommes confrontés à une œuvre intermédiaire, en ce sens où elle essaie, tant bien que mal, de s’affranchir des influences qui la fondent et l’orientent tout au long de son parcours. Ainsi les monstres renvoient-ils non seulement à un traumatisme d’enfance, mais également à la métaphore d’un corps en pleine transformation : certains s’étirent jusqu’à dépasser la taille normale, d’autres s’épaississent excessivement, d’autres encore pénètrent les pores et occasionnent une forme d’acné répugnante. Le monstre, celui que l’on montre du doigt et dont on perpétue le statut par le biais de la fiction, glisse aussitôt de la créature vers l’humain, tend à désigner un personnage marginal ou sous le joug d’une ségrégation raciale. Scary Stories thématise le rejet et la persécution d’abord subie, puis exercée dans le but de se venger ; ce propos trouve dans la structure du métrage une résonance parfaite : un vieux bouquin contient les histoires d’une fille martyrisée par sa famille et dont la légende noire fut entretenue pendant des années. André Øvredal utilise le découpage chapitré qui sépare entre eux les récits pour orchestrer son crescendo horrifique, reprend en cela l’architecture de Quelques Minutes après minuit et, avant lui, la tradition du conte occidental, jusqu’au Mille et Une Nuits oriental. C’est faire du livre un réservoir de souffrance, ce qu’est toute (grande) littérature, ce que sont aussi les ouvrages destinés à effrayer les enfants. Dans la continuité de ce que proposait Chair de Poule, lui-même adapté d’une saga littéraire. On regrettera cependant qu’une telle base scénaristique n’engendre aucun développement ni retournement susceptibles de creuser une idée qui, à force de se voir exploitée, finit par s’appauvrir. Il en va de même pour la toile de fond politique qui, si elle fait sens – associer Nixon aux figures monstrueuses qui traumatisent les familles et écrivent l’Histoire dans le sang de leurs victimes –, aurait mérité d’être plus corrosive. Le cinéma d’horreur est un cinéma politique ; le problème est que le politique ici paraît daté, reflet d’un autre temps. Là se tenait pourtant la matière pour un nouveau départ du film d’épouvante. En lieu et place, le spectateur embarque à bord d’un train fantôme lancé à toute vitesse dans une série de salles sous perfusions Stephen King. Non que l’univers fictionnel ne soit pas cohérent – il l’est, assurément. Seulement, ce refus de sortir des sentiers battus nuit à l’identité de Scary Stories qui, s’il reste un divertissement efficace et très bien mis en scène, risque avec le temps de tomber dans l’oubli.