C’est marrant, le hasard a voulu que je revoie « Les nouveaux chiens de garde » juste avant d’aller voir ce « Dheepan ». J’y avais entendu une phrase qui m’est resté tout le temps en tête alors que j’observais le film de Jacques Audiard. Cette phrase était de Michel Naudy et elle disait ceci : « qu’on me cite un exemple d’un journaliste qui a commencé sa carrière dans ce qu’on appelle l’impertinence, la contradiction, le non-consensus et qui n’ait pas été, soit passé aux oubliettes, soit récupéré ? Il n’y a pas d’alternative. Le système jette tout ce qu’il ne peut pas récupérer. Si vous restez, vous ne restez jamais à l’antenne impunément. Jamais. » Quel rapport, me diriez-vous ? Jacques Audiard n’est pas journaliste aux dernières nouvelles ! C’est vrai. Mais autrefois, Jacques Audiard était dans une forme d’impertinence, de contradiction, de non-consensus à l’égard de ce système qu’est le cinéma français. C’était un esthète. C’était un formaliste. C’était il y a dix ans… Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Alors oui, il y a bien deux ou trois plans qui émergent au milieu de ce « Dheepan » (
…et quand je dis « deux ou trois », c’est en fait « trois et pas plus » : un éléphant dans la jungle ; des motos roulant en pleine lumière ; un éclat de balle dans l’oreille. Trois. Oui, si peu que je m’en souviens et que j’ai pu compter.
) Mais au-delà de ces quelques plans, où est l'Audiard de « De battre mon cœur s'est arrêté » ? Une image dégueulasse. Des plans qui tremblent. Une photo livide. Une accumulation de plans simplement illustratifs. Que c’est triste le nouveau cinéma d’Audiard… Et que dit-on là-dedans ? Rien de plus que toutes les autres calamités de ce glorieux « cinéma social » dont Cannes entend visiblement nous goinfrer année après année. De la misère et encore de la misère ! Non le cinéma n’est plus une expérience sensorielle à en croire ces films là. Le cinéma c’est juste du plaidoyer facile contre la misère du monde. Le sujet fait tout, il justifie tout. Raconter une histoire devient presque insignifiant. Pourquoi tracer un parcours humain élaboré sur deux heures alors qu’on peut se contenter de brasser des images du quotidien qui conforteront tout le monde dans leurs représentations ?
Dhepaan a connu le pire ; il est refugié ; il a le sens de l’entraide, de la solidarité et de l’intégration, mais seulement voilà, il doit lutter contre son pire ennemi après la guerre : la méchante société française. Elle ne lui donne même pas de bol pour boire son lait ; de personnel pour l’amener jusqu’à son nouveau chez-lui ; de logement digne pour habiter. Il doit vivre au milieu des dégradations, des dealers, des fusillades (?). Il doit se laver à l’eau froide. Sa pseudo-fille est rejetée à l’école par tous les enfants indignes tandis que sa pseudo-femme est contrainte d’être employée par des voyous.
Parce que oui, la banlieue elle ne peut être que comme ça et pas autrement. C’est toute la beauté de ce cinéma qui se réclame d’un réel qui n’en est jamais un. Le fantasme prime. Ainsi, dans la banlieue de « Dheepan », il peut se dérouler un règlement de compte tous les deux jours à grand renforts d’armes à feu sans que jamais une seule voiture de police ne passe. Ça ne choque personne. Ça ne choque pas les personnages. Ça ne choque pas Audiard. Ça ne choque ni Cannes ni même tous ces journalistes qui ont encensé ce film. Il faut vraiment ne jamais avoir foutu un seul pied dans ce type de quartier pour en être arrivé à un tel niveau de caricature. Des fois j’ai envie d’en rire. Mais maintenant, à force, ça commence à m’apitoyer. Audiard a fini par rejoindre le rang des Dardenne, Kechiche et autres Cantet. Il est là pour fournir leur came aux petits bobos et à tous ceux de la middle-class qui veulent voir le monde sans sortir de chez eux et surtout pour se convaincre qu’ils ont bien raison de rester là où ils sont. Audiard vaut mieux que ça. Il sait faire mieux que ça. D’ailleurs il semble même nous le dire sur le final de son « Dheepan ». Parce que oui, sur le dernier quart d’heure, ce film tente étonnement de s’énerver un peu. Alors certes, ça a eu le mérite de me réveiller et d’enrichir formellement l’ensemble, mais c’est vraiment fait en mode fête du slip. Cette conclusion sombre dans une sorte de paroxysme d’absurdité par rapport à la démarche initiale du film. C’est un pur moment de n’importe quoi qui, quand on prend le temps d’y réfléchir, n’est pas crédible pour un sou. Mais bon. Encore une fois. Cette conclusion n’est au fond qu’une belle illustration de ce qu’on demande à ce genre de long-métrage : une confortation d’un certain public du fantasme qu’il se fait du monde, et en mode binaire et caricatural s’il vous plait (
…parce que oui, en gros, la fin de « Dheepan » nous dit : « la France c’est la misère des banlieues, la guerre civile la misère et l’abandon alors que – heureusement – l’Angleterre ce sont les jolis taxis et les belles maisons à bow-windows qui accueillent dans l’opulence et la mixité les gentils immigrés. » Joli message. Pas « french bashing » du tout. Tout dans la mesure. Très subtil. Bravo.
) Donc voilà ce à quoi se réduit Audiard désormais. Je vous le dis en toute honnêteté : ça me blase. Mais bon, comme le dit si bien Michel Naudy dans « les nouveaux chiens de garde » : on ne reste jamais à l’antenne impunément. Jamais. . Audiard a fait son choix. Il a voulu rester. Après tout, ça paye bien. Il fournit la came qu’on lui demande, sans trop d’effort, et en échange il reçoit moult argent, palmes cannoises et notoriété publique. Pourquoi se priver ? Certes, ce genre d’attitude ne sauve pas le cinéma français de la léthargie dans laquelle il s’embourbe depuis un certain temps. Mais d’un autre côté, que reste-t-il à sauver ? Voilà finalement ce que semble être le raisonnement d’Audiard après ce « Dheepan » et, franchement, ça n’augure rien de bon pour les amoureux de septième art…