Jacques Audiard fait partie de ses cinéastes français qui n'ont plus rien à prouver, la seule apparition de son nom justifie à lui seul de rameuter les foules. Même si il avait eu un début de carrière hésitant mais néanmoins prometteur, il fut en état de grâce depuis Sur mes lèvres en 2001 jusqu'à De rouille et d'os en 2012. Tout ses films de cette période étaient de très grandes qualités atteignant même un pic fulgurant avec Un prophète en 2009, un excellent film et encore aujourd'hui le meilleur de Audiard. Et même si il était reconnu de tous et que tout ses films sont appréciés, il lui manquait néanmoins quelque chose, une consécration qu'il n'avait pas encore eu et qui est maintenant chose faîte avec son dernier film, la Palme d'or. Néanmoins des critiques se sont très vite fait entendre sur cette Palme d'or, et on a rarement vu un Audiard qui divisaient autant. Alors au final, ce film est-il à la hauteur de cette récompense ? Mais plus encore, est-il à la hauteur de la filmographie prestigieuse de Audiard ? Tout d'abord, il ne faudra pas longtemps pour ce rendre compte que l'on est face à un Audiard mineur. Car ici il évacue très vite ce qui faisait le sel de son cinéma, l'émotion. On est donc face à un film très froid, qui hormis un prologue au Sri Lanka assez intense, se fera totalement déshumaniser. Audiard préfèrent ici l'ellipse pour évacuer les ressorts émotionnelles ainsi que pour établir la situation des personnages le plus vite possible et attaquer directement le cœur de son film. C'est donc la partie drame social et familial qui sera la moins intéressante, elle est très vite évacuer et cela se symbolisera principalement par l'inexploitation du personnage de la petit fille. Au début le film présente diverses situations avec elle notamment au sujet de son intégration mais il oublie ça aussi vite qu'il l'a mis en place pour ne s'intéresser qu'à la spirale de violence qui entraîne le personnage principal et sa "femme". D'ailleurs l'exposition de la vie dans la cité se montre très didactique et parfois beaucoup trop simpliste et si cela peut agacer au final ça sert un propos qui est loin d'être faux. Même si le film reflète une certaine réalité, il est loin d'être réaliste car la cité n'est que la représentation d'un monde autarcique. Il n'y a presque pas de vie au delà de ça, personne ne se mêle de ses histoires et on se retrouve dans une sorte de huit clos. Un endroit sans foi ni loi où seuls les instincts primitifs de l'homme sont conservés, il y a d'ailleurs tout une symbolique autour de l'aspect animal de l'homme, c'est assez plaisant faisant parfois plonger le film dans un aura métaphysique mais cela manque aussi cruellement de subtilité. L'histoire se fait aussi assez prévisible, réexploitant beaucoup d'éléments d'un vigilante movie, donc le parcours émotionnel du personnage et attendu mais il se montre beaucoup plus intéressant que ce que l'on a l'habitude de voir dans le genre, le film étant empreint d'une noirceur et d'un fatalisme assez marqué reflétant à merveille les dommages du syndrome de stress post-traumatique. Sinon le parcours de la femme, même si plus anecdotique se fera moins manichéen, elle apporte un point de vue de l'autre côté du conflit. Car au final, c'est de ça que le film par de conflit, peut importe où l'on se trouve dans le monde on sera toujours en guerre, soit avec nous-même soit avec les autres. Et ici il représente ça de façon très littérale mais pas de façon manichéen car chacun des deux camps à ses torts. Donc au final, la femme à un rôle de jonction et de médiateur entre les deux camps, cela sera aussi très symbolique et parfois réducteur mais le film arrive à lui donner suffisamment d'épaisseur pour ne pas tomber dans les clichés. D'ailleurs le film arrive même à en déjouer certains par quelques touches d'humour assez bienvenus. Après malgré les maladresses du scénario, ce qui est vraiment le plus dommage c'est la radicalité et la naïveté dont fait preuve cette fin, qui se montre beaucoup trop facile et qui tranche beaucoup trop avec le reste du film, laissant un sentiment de gâchis. Néanmoins le tout est sublimé par une réalisation sans faille, que ce soit le montage habile qui maîtrise à la perfection les ellipses, la sublime photographie ou encore une sélection musicale bien pensée et qui accompagne à merveille le récit. Tout cela servant parfaitement une mise en scène de Jacques Audiard, à la fois puissante et maîtrisé. Il est un des rares cinéastes français à pouvoir mélanger avec autant de grâce réalisme de la violence, invraisemblance gérée des situations ainsi que onirisme pur. Il nous gratifie donc de sublimes visions métaphysiques tout en faisant preuve d'une âpreté saisissante et presque documentaire à certains moments. Avant de venir conclure son film avec un morceau de bravoure intense et majestueux sur la forme (bien moins sur le fond malheureusement) qui nous renvoie aux meilleurs moments d'Un prophète. La scène est maîtrisé de bout en bout et se révèle tétanisante. Et il ne faut pas non plus oublier de parler aussi du casting. Globalement composé d'acteurs non professionnels mais qui se montre parfait de naturel et d'intensité. Chaque acteurs arrivant à offrir une épaisseur intéressante à son personnage même si celui-ci se révèle très secondaire mais dans l'ensemble on retiendra surtout le trio formé par Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan et Vincent Rottiers, qui nous offrent tous des prestations exemplaires apportant un peu d'humanité au film. En conclusion Dheepan est un bon film mais il reste un Audiard mineur, sans pour autant être son moins réussi. Probablement pas à la hauteur de sa Palme d'or, en raison d'un scénario bancal et maladroit qui malgré de superbes fulgurances peut parfois prêter à confusion. Mais le plus dommage est surtout l'absence d'émotion car malgré tout les erreurs narratives trouvent une justification dans l'aspect symbolique du film, qui lui manque de subtilité. Reste que la mise en scène est magistrale, Audiard restant un réalisateur de génie, et que le casting se montre parfait malgré le faîte que les acteurs ne soient pas des professionnels. Donc on est face à un film imparfait mais néanmoins relativement satisfaisant, étant clairement au dessus de ce que l'on voit dans la paysage cinématographique français, grâce à un résultat intense empreint d'onirisme et qui souligne une certaine puissance de cinéma.