Faut-il faire confiance à la Palme d'Or ? Faut-il faire confiance à Audiard ? Ma réponse sera oui. Surtout avec l'actualité brûlante de cet été, les centaines de milliers de personnes fuyant leur pays en guerre et prêtes à tout - à toutes les morts - pour toucher la terre promise... Le film débute au Sri-Lanka, ne s'appesantit pas sur les malheurs de ses protagonistes. Ils ont peut-être eu leur lot de souffrances, mais il reste une longue vie à vivre et il faut agir pour en faire quelque chose. Pas de sentiments, on signe, on grimpe dans le bateau et la voix sublime d'un haute-contre vient nous prendre aux tripes durant le générique - qui serait le temps du voyage. Ce ne sera pas l'Angleterre mais la France, soit. Toute cette aventure pour quoi ? Pour vendre des serre-têtes fluo à la sauvette entre deux descentes de police. Ce qui, encore une fois avec l'actualité du mois, nous semble être un sort paradisiaque comparé au cauchemar de certains. Et puis tiens, notre fausse famille de trois Tamouls, voilà qu'on l'installe dans un travail que plus personne ne veut faire : concierge dans des barres d'immeubles d'une cité glauquissime. Les Tamouls ne viennent pas d'une ancienne colonie française. Ils n'ont donc pas d'histoire dans ce coin d'Occident, ne revendiquent rien, fabriquent tranquillement leur petit nid, et l'air de rien, leur petite famille artificiellement créée. Tout discrètement par exemple, leur appartement se colore, devient chaleureux. L'enfant apprend vite, le faux papa est bon bricoleur et il arrange son univers, la fausse maman avec son caractère de cochon finit par assumer sa part de marché. Et puis il y a les autres. Pour le coup, les Occidentaux "de souche", on les voit à peine - en gros, quelques instituteurs à l'école de la gamine. Les autres sont nés après deux ou trois générations de pure immigration, les autres ont reconstitué un drôle de pays, avec des règles simples et strictes, pour leur plus grand confort et au détriment de tout-tous ce qui les entoure. Trois Tamouls s'installent, avec un guide sympathique et dynamique qui les présente aux "villageois" ? On fait tellement peu attention à eux que l'un des personnages les assimile aux Chinois. En guise de télé, nos trois amis ont cette fenêtre du rez-de-chaussée donnant sur la vie "au sol" des étranges habitants de cet étrange pays. Il faut se déguiser en passe-muraille, ne rien chercher à comprendre de cette mini-guerre civile régie elle-aussi par des lois étranges. Et jusque là, j'ai apprécié le voyage qu'Audiard nous fait vivre. J'avoue même que ça m'aurait amplement suffi, l'évolution de nos trois héros dans leur famille recomposée, et dans ce monde qui ne leur veut pas de mal du moment qu'ils restent transparents. Puis il y a un tournant. Et sans rien dévoiler, je n'ai pas compris ce qu'Audiard a voulu faire. Confiance ? Une confiance qui s'est un peu clairsemée à ce moment-là. On veut bien le suivre, mais pas dans cette impression d'incohérence. Autre détail qui m'a gênée : Vincent Rottiers que j'adore a un petit visage vibrant de Chti ou en tous cas de gars du Nord. Il s'appelle Brahim dans le film, mais on a du mal à croire qu'il est le fils de cet homme silencieux, et qu'il appartient à la même bande que tous les gros bras du rez-de-chaussée. Son itinéraire, son destin dans le film n'est pas très clair non plus. Et c'est dommage. Pour ma part, j'ai aimé la fin du film, qu'on s'y attende ou non, que ce soit cliché ou non, Audiard, après ce dernier tiers où - à mon avis - il s'est un peu perdu, boucle la boucle et met un bon point final à son film. Quelques regrets donc, une belle histoire quand même, et juré promis, la prochaine fois que je croise un vendeur de serre-têtes fluo ou de roses à la sauvette, je lui offre au moins mon regard, sinon mon plus beau sourire !