Impossible de donner à la Palme d'Or une identité propre.
Ce n'est pas une réponse aux migrations, ni une peinture des cités de la drogue. C'est un héros tamoul qui découvre un pays inconnu, y cherche des repères. Audiard parle tout d'abord d'une perdition, aussi physique que sociale. Et plus le film avance, plus on comprend la démarche: non, la situation de migrant n'est pas le coeur de l'histoire, mais sa toile de fond. Une toile dont la violence s'accentue lentement par les trafics de drogue de la cité. Par dessus se rajoute le récit de reconstruction identitaire. Donc non, si le parcours des trois tamouls coïncide avec celui des migrants, ce n'est pas par réponse à la situation. Le réalisateur voit dans ces vies de chien le décor idéal pour planter son héros et le faire évoluer.
Et c'est fait. Ce n'est pas bien, c'est "comme ça". Frontal. La première partie du film est délicate, sensible. (Presque) sans dialogues, on voit les créations des liens entre cette fausse famille. Il y a parfois confusion, et leur jeu de rôle devient véritable. Sans être documentaire, la sobriété décrit, sans grande émotion, s'efforçant de rester objectif, teinte de la lumineuse caméra d'Audiard. Plus qu'importante, elle remplace la parole, et entre dans les yeux du personnage pour sonder son trouble...
Cependant, à quoi doit-on ce basculement si soudain dans la violence? D'un plan à l'autre, Dheepan devient presque un thriller, avec fusillades et hémoglobine. Si, au point de vue cinématographie, il apporte un contraste incongru, il présente des doutes quand aux solutions des tamouls. La violence est-elle la fin obligée à la misère? Ou Dheepan devient-il meurtrier parce que son esprit est presque perdu? On n'arrive pas à trancher, et on a du mal à saisir la mise au point de ce virage scénaristique oblique.
Que retenir donc de ce Dheepan? Certes, son prix récompense plus son auteur que son contenu, mais loin d'être médiocre, ce film parle avec force de la désorientation sociale. Ces trois figures sri lankaises ne jouent pas, elles vivent. Bien qu'elles ne parlent pas, elle regardent, et cela suffit à comprendre leur douleur.