3 ans après Blue Ruin, son deuxième film, Jeremy Saulnier revient sur le grand écran avec un film qui vient s'inscrire directement dans la lignée de celui-ci. Similitude du nom où le Blue Ruin devient Green Room, un changement de couleurs et de genre mais pas d'ambitions. Car après avoir déconstruit le revenge movie pour en faire une réflexion habile sur la spirale de la violence et sa vacuité au sein d'une oeuvre étonnamment touchante et mélancolique, il vient avec son troisième long métrage faire une déconstruction du survival pour faire une étude de l'harmonie qui est issue de la fureur et du chaos. Il aime clairement le côté paradoxal de la violence et il vient clairement continué ses thématiques et ses obsessions au sein de cette oeuvre qui vient former un diptyque très intéressant avec Blue Ruin.
Le principal défaut du scénario viendra de là. Du fait que dans son écriture Saulnier est bien trop dépendant de la démarche déjà mise en place avec son précédent film. Ce qui fait que si on ne l'a pas vu, il manque indéniablement un clef de lecture pour comprendre les intentions premières de ce film et que sans ça, on se retrouve un peu vite devant un survival légèrement arty et qui peut sembler terriblement gratuit. Saulnier assume totalement l'aspect diptyque de ses deux œuvres et les construits comme les deux faces d'une même pièce, et même si il a les même ambitions, il évolue au sein de deux genres différents auquel il donne deux tonalités opposés. On est ici très loin d'un sentiment de mélancolie, se rapprochant plus du désespoir et de l'hystérie. On retrouve ses personnages en pertes de repères qui ne savent plus comment réagir devant cette avalanche de violence et qui perdent peu à peu la raison ainsi que l'amour du cinéaste pour l'humour noir, montrant toute l'ironie de ce jeu de massacre. On est clairement devant un film d'auteur, où il poursuit ses tics de langages et ses obsessions avec une cohérence admirable. Nous sommes toujours en terrain connues si on est familiarisé avec son cinéma mais il a l'habilité de ne pas refaire le même film et de partir sur des interrogations totalement différentes au sein d'un même thème.
Sa précédente oeuvre était un film solitaire, celui-ci s'intéresse à la notion de groupe. Les personnages étant volontairement dénué de personnalité forte pour qu'ils se fondent dans la pensée collective. Chacun ayant suffisamment de développement pour avoir sa propre place dans le groupe, il y a le leader confiant et charismatique, la voix de la raison, l'introverti et etc. Une hiérarchie se forme au sein de la bande et une pensée commune émerge. Ici les deux groupes de personnes qui s'affrontent son régi par les mêmes dogmes de groupes, le tout prenant formes comme une guerre d'idées, où les pires atrocités sont commises pour protégé l'intégrité des siens. La pensée collective devenant déshumanisé, hostile et prête à tout pour défendre son bon droit quitte. C'est généralement cela qui fait dégénéré une situation et qui la plonge dans le chaos mais paradoxalement c'est ça aussi qui crée des liens et permet un dialogue. Mais étant donné que le film s'intéresse plus à cet état de fait qu'à ses personnages, ceux-ci ne seront pas particulièrement intéressants ni même attachants ce qui nuit grandement à la narration. Celle-ci devenant par moments trop didactiques et répétitives lors de la deuxième partie du film, qui est une succession d'assauts et de replis de la part des protagonistes et les échanges entre eux manque parfois de finesse et de subtilités, l'écriture étant parfois trop évidentes quant à ses intentions. Néanmoins, tout ce qui est gestion du chaos se montre impeccable, étudiant habillement la logique et surtout l'ordre sous-jacent de celui-ci, qui est tout autant capable de faire régner la fureur et l'hystérie la plus violente comme le calme le plus absolu. A l'image d'un pogo, le film ne s'intéressant pas pour rien à l'univers punk rock, le chaos est un effet de masse incontrôlable mais harmonieux qui trouve son rythme dans le mouvement des corps qui s'entrechoquent, il peut paraître animal et désorganisé de l'intérieur, mais vu de l'extérieur un grâce et une harmonie s'en dégage. Le parallèle étant ici astucieusement traité et pensé. La violence est ici un moyen pour le groupe de trouver une forme de repère et d'affirmation pour chacun de ses membres. Comme pour Blue Ruin où la vengeance sortait le personnage de sa torpeur pour qu'il reprenne un certain contrôle sur sa vie. Le but, aussi violent puis-t-il être permet aux personnages d'avancer et de se comprendre malgré les différences. La fin, très intelligente et pleine de sens, vient souligner cela à merveille.
Saulnier s'entoure pour la premier fois d'un casting à l'envergure international et distribue ses rôles avec intelligence. Anton Yelchin devient alors la représentation parfaite des intentions du cinéaste. L'acteur est très talentueux dans sa manière de jouer avec les émotions mais est un acteur que l'on pourrait qualifier de lisse dans le sens où il n'a aucun réel charisme et marque par sa capacité à se fondre dans le décor. Ici il s'impose dans le rôle de l'introverti, intelligent mais très débrouillard et courageux. En faire le personnage principal devient alors pertinent car ni vraiment dans un groupe, ni vraiment solitaire, il devient le témoin actif de ce chaos. Y prenant part mais en prenant aussi en compte de ce que cela implique symbolisant la vérité au milieu de tout ses mensonges. La plupart des autres personnages prétendant être ce qu'ils ne sont pas, comme ses amis qui prétendent être en marge pour se donner un air cool alors qu'ils non rien de particulier. On retrouve donc ce message de personnages en perdition qui cherchent leurs places au sein d'un système, peut importe sa nature. Macon Blair, acteur tenant le rôle principal de Blue Ruin, vient symboliser ça dans son rôle trouble d'un homme qui cherche sa place chez les skinheads, les antagonistes, sans vraiment la trouver et sortant du manichéisme que le conflit érige entre les deux groupes qui s'affrontent. Patrick Stewart en impose dans son rôle de leader cruel et sans pitié, offrant une prestation remarquable qui contraste entre la sagesse et le calme de l'acteur face à la violence du personnage, ce qui le rend tout aussi terrifiant que apaisant. Mais celle qu'on retiendra surtout ici c'est Imogen Poots, qui tient enfin un rôle à sa mesure. Elle excelle à retranscrire toute les nuances de ce personnage badass qui oscille entre le doute et le désespoir et la violence déterminée. Actrice talentueuse mais souvent reléguée aux seconds rôles insignifiants, elle trouve ici toute la place pour s'exprimer et venir voler la vedette à l'ensemble du cast.
La réalisation est impeccable, marquant surtout par une photographie sublime qui vient accentuer les nuances de vert. Dans son précédent film, Saulnier avait élaboré son revenge movie au sein d'un ballet bleuté et apaisant et ici il continue son contraste de couleur avec le vert qui vient se heurter au rouge sang. L'oeuvre ayant tout de suite un aspect plus malsain et claustrophobe, ici le vert de la nature comme celui du bâtiment dans lequel se déroule la majeure partie de l'intrigue viennent oppresser les personnages. La musique oscille entre la violence du punk rock et des compositions originales plus calme et organique qui servent avant tout à accentuer l'ambiance et le montage se montre intéressant dans sa manière d'éluder la fureur pour se concentrer sur la calme qu'instaure le chaos. Dès que les choses commencent à devenir trop énervées et bruyantes, le tout cut pour revenir à des moments plus calmes. C'est quelque chose que l'on retrouve dans la mise en scène minutieuse de Jeremy Saulnier. Ici à l'inverse de Blue Ruin qui favorisait les grands espaces, il cloisonne ses personnages et son récit, le tout prenant la forme d'un huit clos. Mais au lieu de s'intéresser à la fureur qui émane du lieu, il s'intéresse plus à rendre ce qui le rend calme et silencieux, filmant ce jeu de massacres de manière très abstraite et intime quitte parfois à plonger dans l'over the top et de flirter avec le ridicule dans un dernier tiers qui laisse exploser la folie des personnages. Il compose ses plans avec intelligence pour marquer la violence des affrontements, sans pour autant tomber dans quelque chose de trop trash et appuyé. Il fait un travail consciencieux et très beau visuellement mais qui fini un peu par tourner en rond par moments et qui fini un peu par perdre intérêt. Un défaut qu'il semble traîner de film en film comme si il ne savait plus comme utiliser son concept sur la longueur et qu'il finissait un peu par se perdre.
En conclusion Green Room est un très bon film. Continuant les thématiques et les obsessions de son cinéaste, il vient former un diptyque cohérent et abouti avec Blue Ruin. Néanmoins Saulnier fait l'erreur d'avoir pris pour acquis son public et écrit son nouveau film de manière trop dépendante de son précédente, ce qui peut le dénaturer aux yeux du néophyte qui ne s'intéresse pas forcément à la vision du cinéaste. Car sans cette vision, le film devient bien plus classique dans son genre, étant bien plus ancré dans le survival, que Blue Ruin ne l'était dans le revenge movie. Ce qui rend ce Green Room moins marquant et maîtrisé que son aîné. Malgré tout, on reste devant une oeuvre de grande qualité, qui tend un peu à être répétitive et légèrement grossière dans sa narration et qui ne tient pas son concept jusqu'au bout, mais qui s'impose par le savoir-faire et l'intelligence de la mise en scène, un propos pertinent qui porte un regard juste et astucieux sur la notion de groupa à travers le chaos et qui est en plus soutenu par un excellent casting, Imogen Poots en tête.