Du beau roman de Hubert Montheillet, auteur prolifique (quelque part entre Boileau-Narcejac et Patricia Highsmith) et d’une incroyable longévité (87 ans bientôt et toujours en activité !), Christian Petzold n’a retenu qu’une partie de l’intrigue. A la différence de "Return from the Ashes" l’adaptation de J. Lee Thompson en 1965, qui sur un script de Julius E. Epstein, l’oscarisé scénariste de Casablanca, en exploitait tous les ressorts dramatiques, y compris le vénéneux triangle amoureux mère/fille/beau-père, très James M. Cain ("Mildred Pierce"). Petzold, lui, n’a gardé que l’argument principal : Une femme rentre, défigurée, du camp de concentration où on l’avait laissée pour morte. Un chirurgien s’emploie à lui redonner son visage d’avant. L’opération est une réussite. Enfin presque : Nelly ne se ressemble pas assez pour que son mari la reconnaisse, mais suffisamment pour qu’il lui propose de se faire passer pour sa femme disparue. Car Nelly est riche, très riche, l’ultime héritière d’une famille décimée par la guerre et les camps. Avec une grande économie de moyens, et sa manière très lente, ce sens toujours aussi juste du plan qui dure, Petzold évoque, sans sacrifier à la reconstitution, l’Allemagne de l’après guerre, la présence humiliante de l’occupant américain, l’impossible retour des juifs rescapés et surtout Berlin dévasté, comme une métaphore de cette femme en ruine. Nina Hoss, inoubliable "Barbara" et complice habituelle du réalisateur, est absolument méconnaissable dans ce nouveau personnage. Le film est entièrement construit sur le point de vue de Nelly, sa douleur, ses hésitations et sa quête déchirante d’amour, son amour d’avant. La performance de Nina Hoss vous cloue le cœur, elle vous emmène au delà du vraisemblable : Comment Johnny, le mari peut-il ne pas reconnaître sa femme ? Et comment Nelly peut-elle ne pas voir sa trahison ?... Mais on finit par s’en foutre, captivés par la mue qui se déroule sous nos yeux, la renaissance d’une revenante, cette femme qui répétait sans cesse "- Je n’existe pas". D’abord fantôme, corps décharné, nerveux, elle va reconstruire peu à peu sa féminité, d’abord sous l’œil de Johnny, pygmalion obstiné, puis réellement malgré lui, jusqu’à imposer dans la dernière scène l’évidence de sa sensualité retrouvée. Une fin bouleversante et encore ouverte.