Comme Maïwenn Le Besco avant lui, avec Polisse, Xavier Dolan atteint sa majorité avec Mommy. Tous deux ont su s’éloigner de leur nombril – certes sympathique, mais un brin irritant quelquefois – pour embrasser la fiction pure et dure avec fougue. Il est jouissif et émouvant d’assister à cette éclosion, déjà bien amorcée dans les films précédents, cet envol vers un summum probable. En l’occurrence, avec Mommy, on ne sait où donner de la tête et on en prend plein les yeux.
Dolan revendique des références simples et populaires, une diversité bienvenue. En voyant Mommy, on songe, par instants, aux films des rejetons Coppola et à certaines œuvres de Gus Van Sant. L’emploi de la musique – certes variée et éclectique dans le cas du réalisateur : il parvient à nous émouvoir au possible durant un repas qui finit par une danse sur du Céline Dion – et la description du tumulte adolescent n’y sont pas pour rien. Au-delà de Palo Alto et de Virgin Suicides, la peinture de la suburb canadienne évoque le meilleur de la fiction américaine. Le détournement – le temps d’une séquence – de la légendaire série HBO Six feet Under ne nous émeut que plus.
Réalisateur émérite désormais loin des tics arty superflus, Xavier Dolan sait s’effacer à juste escient, ne vole jamais la vedette à ses interprètes et offre un écrin à trois astres qui traversent son film et nous soufflent, nous happent, nous cueillent … La proximité entre le spectateur et ses héros est totale. Le ressenti devient épidermique, on respire au même rythme qu’eux, notre cœur bat au même rythme que le leur. Si la fiction est un seuil, vous entrerez dans ce long métrage tête la première et sans trébucher. Plongez !
Anne Dorval incarne l’antithèse de son personnage dans Les Parent, programme court éminemment cute et drôle qui croque avec truculence le quotidien d’une famille nucléaire – comme le chante le générique – qui fonctionne résolument bien malgré les coups de gueule et les aléas domestiques qu’il faut bien vivre. Ici, Anne Dorval campe une héroïne aux antipodes, white trash adulescente pleine de panache qui échappe à tout jugement. Mauvaise mère ? Non, pas vraiment, c’est une mère aimante qui fait son possible et se dépêtre dans le deuil du père de son fils sans jamais s’y attarder, mue par la nécessité d’avancer coûte que coûte. L’amour ne suffit pas, nous le savons. La vie intervient entre deux et entre eux deux. Cette femme rose bonbon cache ses blessures intimes derrière une inconséquence apparente et place l’espoir comme une denrée rare inestimable pour la survie du monde. « Les sceptiques seront confondus » prévient-elle au début du film. Nous aimerions de tout notre cœur la croire, cette splendide et digne créature. Anne Dorval nous convainc donc et emporte l’adhésion totale malgré l’outrance assumée du rôle. On n’en attendait pas moins de cette actrice monumentale rôdée aux dialogues vifs et mordants, qui navigue à l’aise entre le mainstream et l’exigence.
Preuve s’il en est que les seconds rôles n’existent pas, Xavier Dolan accorde à Suzanne Clément un – second – rôle fucking monumental et indispensable à l’équilibre de l’ensemble. Elle évoque la Maria Bello bouleversante de The Private Lives of Pippa Lee.
Frappée par un drame là aussi tu
, la voisine du couple mère-fils va retrouver un second souffle à leur contact. Son bégaiement est plus éloquent que bien des discours et ne sombre jamais dans la farce indécente ou le prétexte lacrymal du handicap à surmonter. Suzanne Clément, toute en retenue, nous épate et davantage. Les mots manquent pour exprimer le ressenti. Cela tombe bien, c’est justement l’essence même et la clef du personnage. La voir danser, d’abord raide comme un piquet, puis chanter en oubliant ses barrières sur On ne change pas nous touche profondément. Sa confrontation avec l’irrésistible et vénéneux Steve nous arrache des frissons.
En recevant le Prix du Jury à Cannes, Xavier Dolan dévoilait lors de son discours de remerciement sa volonté d’écrire pour les femmes des rôles conséquents, hors des clichés rabattus, des femmes qui ne seraient ni victimes ni objets, mais fortes, courageuses … En voilà la parfaite illustration. Il transforme son postulat en réussite éclatante. Anne Dorval et Suzanne Clément galopent, amazones conquérantes, chacune à leur manière.
At last but never ever the least … Dolan a trouvé son Di Caprio en la personne d’Antoine Olivier Pilon, qui parvient à exprimer la même rage adolescente que le Léonardo incendiaire de Marvin’s Room. Lointain cousin du peroxydé John Robinson dans Elephant, Brad Pitt Jr, Antoine Olivier Pilon – ange et démon – nous assène des moues cartoonesques, se mord la lèvre, touche des seins et, au même titre que l’impeccable Suzanne Clément, peut se passer de mots avec le renfort de son visage expressif, entre grâce et fureur. Il est l’alter égo du réalisateur, mi-enfant mi-homme de 17 ans, troublant et sensuel, touchant, insupportable. Son Vivo Per Lei/Je vis pour Elle, dans un karaoké beauf insensible et sourd à la beauté, révèle toute la solitude du monde, le drame de l’amour fou, impossible, jamais rassasié. A l’avenir, et l’avenir est résolument devant lui, on suivra volontiers la trajectoire d’Antoine Olivier Pilon, immense acteur du haut de ses 17 printemps.
Ces trois acteur/actrices forment « un team » – les mots mêmes de Steve – un bel ajout de singularités merveilleuses, sous la houlette d’un chef d’orchestre généreux. Sayanora !