Tandem de cinéastes toujours passionnant, quoique inconstant, les frères Larrieu retrouvent ici leur comédien fétiche, Mathieu Amalric. Une collaboration entamée il y a 15 ans, pour le meilleur ("La Brèche de Roland", "Un homme, un vrai") et le moins bon ("Les derniers jours du monde"). "L’Amour est un crime parfait" est en fait l’adaptation du roman "Incidences "de Philippe Djian, polar vénéneux à la construction improbable, mais transcendée, comme d’hab, par le style. Cela dit, les Larrieu ont pris quelques libertés avec l’intrigue, choisissant d’instiller du suspens dans un récit qui n’en avait pas, ou très peu. La force de Djian, on le sait, c’est son écriture, cette musique si particulière. Que la narration soit à la 1ère ou à la 3ème personne, il ne cesse dans ses livres de coller au personnage principal, s’attachant à rendre compte de ses actions et de ses pensées. Comment s’abstraire de ce torrent de mots et d’images, ou plutôt comment lui trouver un équivalent cinématographique, c’était le défi du film. Pour être honnête, les frères ne s’en sortent pas mal : On retrouve avec plaisir leur ton libertaire et libertin, leur science de l’ellipse, et surtout leur sens des décors, ici proprement bluffant. Les paysages de montagne évidemment (c’est un peu leur spécialité, presque une marque de fabrique), mais la grande trouvaille c’est cette université privée, à l’architecture ondulante, toute en volutes de béton et grandes baies vitrées. La haute-montagne et la fac donc, deux lieux, deux écrins dans lesquels les Larrieu déploient une mise-en-scène élégante et précise. Le problème, car il y en a un, se trouve plutôt dans l’interprétation. Ou la direction d’acteurs, ce qui revient au même. Le casting (Mathieu Amalric, Karin Viard, Maïwenn et Sara Forestier, à égalité sur l’affiche) était pourtant la grosse promesse du film. Je ne sais pas si c’est une proposition du comédien ou une demande des Larrieu, mais la diction très spéciale de Mathieu Amalric, ce phrasé super travaillé, théâtral en diable, qui trahit l’origine littéraire des dialogues, m’a vraiment gênée. Amalric réussit même à contaminer sa partenaire, Karin Viard qui incarne sa sœur et montre un jeu pareillement affecté. A moins que les réalisateurs aient voulu donner par cette stylisation forcée une clé sur les personnages, deux âmes malades. Une diction dérangeante pour dire le dérangement ? Bof, bof ! Le reste de la distribution est remarquablement hétérogène, chacun paraissant jouer dans son coin. Chez Djian, on le sait, les autres hommes sont des fantoches ou des cons. Denis Podalydes réussit à donner de l’épaisseur à Richard, le supérieur de Marc - et incidemment le prétendant de sa sœur. Une composition savoureuse qui nous fait renouer un instant avec l’humour des Larrieu, cet humour mezzo voce dont leurs films sont en général si prodigues. Maïwenn, elle, est dans un tout autre registre, très premier degré, juste un chouilla trop prompte à faire surgir l’émotion. Quant à Sara Forestier, disons qu’elle joue ici joliment les utilités. Alors bilan des courses ? Une mise en images classieuse, une interprétation hétérogène et inutilement maniérée, une intrigue encore bancale – malgré les efforts des frères à retoucher la structure - avec un twist final super attendu et qui peine pourtant à convaincre…je suis sortie déçue. En me disant aussi : Chabrol pas mort ! "L’Amour est un Crime Parfait" ressemble en effet à un Chabrol de série. Mais qu’on se rassure, Djian l’a déjà vu 5 fois, et il aime beaucoup.