"Frances Ha" n'est pas un immense film, mais un bon moment de cinéma, intelligent et solidement ancré dans son époque. Son sujet est le passage à l'âge adulte - celui à partir duquel on ne vous passe plus vos lubies d'ado et où l'on s'attend à vous voir faire votre place dans la société. Il fut une époque où ce passage ne posait pas problème: jusqu'à il y a quelques décennies, les jeunes devenaient adultes très tôt et la notion même de "culture adolescente" n'existait pas. Aujourd'hui, on peut avoir 27 ans, l'âge de Frances, et passer encore des après-midi sur le sofa à mater des séries, classer les gens en fonction de leurs goûts musicaux "cool" ou "pas cool", sortir ses histoires de cul à sa meilleure copine, qu'on continue à voir comme son alter ego ("we are the same person")... Et puis, on commence à voir la copine en question se caser pour de bon, on participe à des dîners où les vannes et les attitudes tirées de "Friends" et "Sex and the city" ne sont plus gage de succès mais suscitent des sourires mi-gênés mi-amusés, on découvre que l'argent ne tombe pas du ciel et qu'il en faut pour pouvoir exister dans un certain milieu, on se retrouve à devoir gagner sa place au soleil au milieu d'une concurrence féroce, à comprendre que certains rêves (devenir danseuse) resteront inaccessibles... "Frances Ha" filme ce moment de la vie (qui, encore une fois, est une création récente) avec un regard acéré, des dialogues bien écrits (une grande partie du film se joue sur le langage, qui contribue à "ghettoïser" Frances) et une grâce certaine. Greta Gerwig fait un très bon travail, mais c'est l'ensemble des comédiens, même dans de tout petits rôles, qui surprennent par leur naturel - signe d'un film mûri et d'un réalisateur qui sait ce qu'il veut. Le final a un côté "happy end" moins convaincant - et le spectacle chorégraphié par Frances, soi-disant "novateur" et "bouleversant", ne convaincra personne. Pour autant, "Frances Ha", rythmé de surcroît par une excellente bande originale, est loin d'être un film inutile.