Let's Dance !!
spoilers, ne surtout pas lire pour ne rien se gâcher
Jamais la fin d'un film n'aura produit cette sensation, étrange, d'être partagé entre deux émotions, de ne pas savoir quoi choisir entre la joie et la tristesse qui s'offrent à nous. Peut-être ne faut-il simplement pas choisir, et se laisser submerger par la bouleversante vague qui emporte le spectateur alors que le dernier Noah Baumbach se termine.
Quand Frances trouve enfin son chez-soi
et clôt ainsi une étape de son passage à l'âge adulte, on est content pour elle, parce que son inadaptation au monde s'est quelque peu réduite entre le moment où on l'a découverte et celui où on la quitte. Frances a grandi, mais subtilement grandi, par petites touches successives, sans que le film ne surligne les choses et sans que de grandes leçons sur la vie ne nous soient assénées. Il y a bien une quête initiatique dans Frances Ha, mais l'intelligence du film tient principalement dans sa capacité à ne pas créer d'emphase, à jouer sa partition sans y privilégier ça et là un quelconque exploit de mise en scène ou de scénario ( on peut opposer à cette idée la séquence reprise de Mauvais Sang, mais elle découle d'un choix de mise en scène intelligent plutôt que d'une volonté d'en mettre plein la vue ). Quand Great Ha Gerwig part pour Paris, c'est magique. Là encore les effets sont absents : aucun discours sur l'identité parisienne ( la Tour Eiffel y est vaguement décorative, tout comme l'Arc de Triomphe, Frances passe devant le Café de Flore sans y lire du Sartre et rencontrer un charmant français, " piège " que n'aurait pas évité Woody Allen par exemple ). L'escapade parisienne ne sert à rien,
aucune aventure amoureuse n'y naîtra
, sinon à dessiner un peu plus les traits de la psychologie de son personnage principal. Le voyage en France est un coup de tête qui n'a aucune arrière-pensée complaisante. Paris a bien une valeur fantasmatique - comme souvent, mais c'est une ville qui le mérite -, seulement, cette veine n'est pas creusée et Frances n'est jamais sacrifiée sur l'autel de l'action. Effet purement baumbachien, pour qui le déroulement de l'intrigue a moins d'importance que la personnalité de ses personnages. Il s'agit d'un cinéma délicat, qui fait l'amour au lieu de baiser, qui dit les choses avec juste ce qu'il faut pour qu'on les comprenne, et le début du film par exemple, succession rapide de scènes entre les deux meilleures amies, dit tout de leur relation complice et fusionnelle et anéantit toute trace de surexplication. C'est une preuve par ailleurs qu'il est possible de faire des films bavards tout en sachant mettre en scène, de faire parler les personnages aussi bien que les images.
Dans le même ordre d'idées, il faut voir la manière dont le film construit sa narration, classique dans les grandes lignes, mais dont l'intérêt réside dans un certain décalage jusqu'au-boutiste. Plusieurs scènes montrent ce décalage entre Frances et les autres - en premier lieu, avec Sophie, qui grandit sans elle - et se concluent par une chute qui ne ressemble pas à la conclusion " normale " d'une scène de cinéma. Quand Frances se bat pour jouer, Rachel ne le supporte pas parce qu'elle n'est plus une enfant, et si Frances s'arrête au bout de quelques réprimandes, elle ne semble pas pour autant saisir la portée de son acte et son côté étrange ne disparaît pas à la fin de la scène, mais contamine encore plus le film. Dans son entier, le dernier Noah Baumbach est parcouru par de petites bizarreries qui rebutent un peu avant de séduire, et le vecteur principal en est le personnage central, à l'opposé du Ben Stiller de Greenberg. Là où ce dernier était contrit et n'exprimait pas beaucoup de choses, Frances est au contraire plus expansive, légère, pétillante, surtout grâce à son actrice, sublime Greta Gerwig qui donne toute sa beauté au personnage qu'elle incarne. L'immédiat attachement du spectateur au personnage naît de sa loufoquerie, sa maladresse, son charme exquis de fille qui ne sait jamais où elle va et qui n'est pas trop à sa place où qu'elle soit. Les appartements où vit Frances se succèdent, et avec eux les chances de réussite professionnelle. Mais malgré les échecs répétés, Frances tient debout et garde son optimisme. Le film est traversé d'un bout à l'autre par un éclat ravageur, certes peu souligné, mais étonnamment puissant. Le côté Nouvelle Vague du Baumbach ne naît pas d'une éventuelle utilisation de la grammaire du septième art ( jump-cut et autres adresses au spectateur sont quasiment absents du film ), sinon d'une vitalité qui déborde de l'écran. Tout semble improvisé, pris sur le vif, joué comme bon semble aux acteurs. Les dialogues sont des dialogues de tous les jours, d'un naturel qui force l'admiration, et le quotidien est sublimé. L'impression que laisse le film est que ce que nous voyons appartient moins à un cadre cinématographique qu'à la vie. La tristesse évoquée plus haut, justement, naît de là. De cette sensation que Frances va continuer à vivre sa vie, mais sans nous, et que le précieux témoignage biographique qui nous a été offert pendant 1h25 s'arrête bel et bien. Et derrière la peine se cache la satisfaction, avec cette idée que Frances a suffisamment pris son indépendance pour ne plus avoir besoin de quiconque pour continuer son expérience. Parce que ça n'est pas que du cinéma et qu'au-delà du film, Frances danse encore et toujours.
Dans ce film d'amitié et d'amour, dans cette quête initiatique qui n'est rien d'autre qu'une magnifique célébration de la vie et où le noir et blanc donne naissance à une oeuvre lumineuse, on ne sait pas toujours où l'on va ni comment on y va. Mais une fois arrivés, on se dit que le voyage en valait bien la peine et on est heureux d'être entré dans la danse avec Frances. Bouleversant, tendre, généreux, drôle, émouvant, intelligent, sensible, délicat et joyeux : le plus beau film au monde.