Un film sur la bourgeoisie décadente, désœuvrée, qui feint d'être lucide et cynique, mais qui, à l'image de son personnage principale, semble vouloir nous alerter sur le mensonge qui habite le regard qu'ils portent sur le monde.
Ces âmes paresseuses sont tant satisfaites de leur confort matériel qu'elles acceptent de faire le constat de leur propre médiocrité - médiocrité dont il est toujours sous-entendu qu'elle vaut mieux que celle de toute autre classe sociale, ne serait-ce que par la conscience qu'elle a d'elle-même - , les dédouanant confortablement du même coup de tout effort.
Ce film nous rappelle combien le "désenchantement" ou le "cynisme" du bourgeois est sa bonne conscience, le confort moral qui va de pair avec son confort matériel. Le monde le dépasse fort confortablement.
Le héro semble découvrir, au crépuscule de sa vie, qu'il y avait peut-être mieux à faire de celle-ci.
Mais la paresse, la fierté l'empêche d'aller au bout de sa démarche ; il est prisonnier de son statut, de ses avantages, et même quand il semble amorcer un pas dans le sens d'une quête de sens auprès d'un cardinal, il renonce précipitamment. Le bourgeois ne peut voir dans un homme ou une femme d'Église que deux choses : un tartufe ou bien un doux rêveur un peu niais (incarné ici respectivement par le cardinal et la sainte femme - voire les bonnes sœurs en général).
Et il faut que les choses demeurent ainsi. Son espoir que l'homme d'Église puisse lui apporter un début de réponse est facilement balayé par la passion inattendue de celui-ci pour la cuisine fine. Et le bourgeois préfère les choses ainsi. La disparition de la tartuferie de l'un aurait tôt fait de dévoiler la tartuferie de l'autre...
Ce héro baigne dans l'ignorance de l'aveugle qui ne croit que ce qu'il voit et qui, par paresse, refuse d'en déduire ce qu'il ne voit pas. Pourtant même un aveugle connait le ciel, le sol, l'air sans les voir. Mais il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et donc pas pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir.
Ces bourgeois par héritage ont l'ignorance des enfants gâtés qui héritent des trésors laissés après des années de travail, parfois de souffrance, par d'autres avant eux et dont ils ignorent l'histoire viscérale, le sens originel, en partie par déni. Ils compensent par une connaissance encyclopédique superficielle et désabusée de tous les protocoles humains ; et même quand ils trahissent parfois une compréhension un peu plus profonde, elle est toujours confuse et inachevée.
Une bourgeoisie sans enfant ou presque, ou alors avec des enfants sans avenir, une bourgeoisie sans racine, car elles sont les branches pourries qu'il faut couper pour que l'arbre puisse continuer de grandir. Parfaitement rendu ici, avec quelques moments de grâce qui donne au film une ampleur que le sujet n'a pourtant pas. Parfois, des choix un peu désuets, une mise en scène vieillottes ont tendance à nous rappeler que ce film pourrait être plus court vu le peu de substance et de réponse donnée ; mais tout cela reste très cohérent avec le fond.