Fellinien, évidemment, et pas seulement à cause de Rome, Roma -mais aussi parce que dans le personnage de Jep Gambardella, interprété par le magnifique Toni Servillo (vous vous souvenez, plus vrai que vrai en Giulio Andreotti dans El Divo!) on aurait bien vu Mastroianni, el vecchio Marcello, celui qui s'amusait tant à tourner en dérision cette image de séducteur, de latin lover, qu'on lui avait collée, et dans laquelle il ne se reconnaissait pas.
Comme dans Fellini, vous aurez une naine et des obèses, des communiantes et des nonnes, la nuit magique sur une ville magique, des fêtes avec des fêtards grotesques, un suicide, un cardinal qui ne s'intéresse qu'à la cuisine, des scènes surréalistes avec des animaux comme cette girafe au milieu d'un amphithéatre, qu'un magicien va faire disparaître..... et des fontaines.
C'est l'été, un magnifique été, et Jep Gambardella, qui fête ses soixante cinq ans, est un homme qui a réussi. Il se pensait écrivain; jeune, il a écrit un livre, semble t-il, de grande qualité, primé en tous cas, "l’appareil humain" et puis.... plus rien. Il est devenu journaliste, interviewer vedette..... mais plutôt pour la presse people. Il connaît tout le monde, il donne des fêtes somptueuses sur la terrasse de son appartement, une immense terrasse où on peut facilement faire tenir cent personnes, un truc dingue, juste en face du Colisée! On peut même pas imaginer qu'un appartement aussi sublime puisse exister!
Ses invités, c'est la fine fleur de l'intelligentsia de gauche, patrons de presse, collectionneurs, esthètes.... qu'on retrouve au bout de la nuit, ronds comme des barriques, en train de faire le petit train.... Beaucoup d'ironie cruelle dans le regard que pose Paolo Sorrentino sur ce petit monde qui s'écoute parler, se retrouve devant des performances (hilarantes, comme lorsqu'une femme nue, une faucille et un marteau tracés dans des poils pubiens passés au henné, se jette tête la première en courant contre la pile d'un pont). L'élégant Jep a la dent dure -très dure, mais il a tellement de charme qu'il continue à séduire -sans conviction. Qu'attend il encore de cette vie, à laquelle il semble cependant continuer à trouver du charme? Contrairement à la plupart de ses infatués comparses, il est clairement conscient de se médiocrité -et de la petitesse de sa vie. Se remettre à écrire? Il y pense, sans s'en croire capable. Et voila qu'il découvre, via l'intrusion d'un veuf larmoyant, que son tout premier amour qui l'a laissé tomber et en a épousé un autre "un bon compagnon" n'a aimé que lui, toute sa vie, et n'a écrit que pour lui dans son journal intime.... Et voila qu'il est convié à interviewer une sainte mutique, une mère Thérésa centenaire qui ne se nourrit que de racines et passera la nuit chez lui; au matin, sa terrasse est recouverte de flamands roses, vision poétique et troublante qu'un souffle de la sainte fera disparaître....
On connaît le syndrome de Florence, décrit par Stendhal.... plus encore, dans cette Rome estivale dont Sorrentino a cependant évacué les touristes (à part quelques silhouettes burlesques dans la scène introductive), où l'on va d'amphithéâtre en palais, bercés par le chant des fontaines, on se dit que trop de beauté stupéfie, stérilise, paralyse....
Pourquoi Jep a t-il cessé d'écrire? Peut être, parce qu'au fond, il ne cherchait qu'à rencontrer la grande belleza....
Ce petit miracle hors du temps, il ne faut surtout pas le rater, même s'il est un peu long. En deux heures, amputé de quelques scènes de bringue, il n'en aurait été que meilleur... Mais c'est un vrai bonheur, avec un peu de nostalgie. Que reste t-il de ce cinoche italien qu'on a tant aimé?