Les points négatifs envers ce film ne sont pas mensongers. Il y a quelques longueurs ressenties, mais si j'avais en charge de les couper je ne saurais où mettre mes ciseaux. Sorrentino cherche à saisir le vide, l'ennui urbain en tant qu'angoisse, et il joue avec nous, comment nous le faire comprendre sans nous ennuyer, sinon en ralentissant la vitesse, en prenant des pauses, pour mieux rebondir, et relancer notre intérêt, croissant, happé, pour le cheminement de Jep? Grace à cette construction habile notre identification avec le personnage incarnée par le génie du génial Servillo est renforcée. Sorrentino est un esthète, son style fleurit en arabesques à chaque bouts de mise en scène. C'est presque comme un anti Bresson, sauf que le point commun entre cet austère et ce baroque flamboyant, c'est d'avoir un vrai style, identifiable dès le début, sans s'essouffler, prenant racine, beau. Beaucoup en rêvent, essayent bougeant la caméra comme ci, comme ça. Peu des réalisateurs en ont un. On peut ensuite reprocher le manque de critique social de la jet set, comme Proust se paya la bourgeoisie... O.K, c'est juste que ça n'a rien à voir. Le vide existentiel du prolo est aussi vide que celui du dandy huppé, également inauthentique, et la vulgarité bling bling entre un vrai diamant et sa copie en toc réduit la fracture sociale par le bas, comme un nivellement du niveau scolaire... Qu'il est beau le voyage intérieur de Servillo Gambardella, qu'il épouse les méandres du Tibre, le long de ses quais, qu'il est urbain, capital, pulsation d'un peuple qui fut plus qu'il n'est, maladie de nos pays en proie à la grande Europa ; en ce sens ce film s'adresse à ceux qui bouffent du Paris quotidiennement, son inhumanité, ses questionnements sur la survie de l'âme en son sein, la fidélité rare, l'amour épanoui encore plus rare. Les valeurs renversées par la modernité plutôt qu'améliorées, le prix des loyers, une femme qui choisira le souvenir chéri de Jep plutôt que lui-même, des élans lyriques et des cassures ironiques ; le film mélange les pièces de ce puzzle représentant un brouillard, et nous en restitue la grande beauté comme un soleil voilé dans un tableau de Turner. Servillo en digne italien héritier de Gassman et Dino Risi sait jouer la dent dur de l'humour infiniment sarcastique transalpin, notamment lors de la scène de l'enterrement. On est loin de Fellini, encore plus d' Antonioni. C'est du Sorrentino, et Servillo, et surtout, car ils s'effacent devant leur sujet, une chimie cinématographique qui révèle charnellement le lien entre un homme et son environnement, le façonnage de l'un sur l'autre, preuve de rien, garantie de rien, mais qui pousse, qui pousse, pour quel fleur, quel fruit, quel pépin, quel graine? Les spécialistes reconnaissent l'un à l'autre. Reconnaissons ici un beau film, surtout qu'en ce moment on n'est pas gâté. Je n'y vois pas de hasard, mais une illumination.