L'ouverture du film: une pure réussite:
La grande beauté: L'histoire de Jep Gambardella, mais aussi une chronique sur Rome, ses siècles d'histoire, à travers les yeux de ce même Jep. Cela commence par une visite de touristes japonais sur le mont Janicule. Soleil éblouissant, vue sur Rome imprenable, voir convulsif. Le convulsif, c'est bien un des aspects du film d'ailleurs. Un des touristes s'éloigne, pour se retrouver seul avec la beauté qui l'entoure. Panorama. Il prend une photo, deux, trois. Il respire, puis s'écroule. Mort. Beauté convulsive, donc. Il a été victime de ce que l'on appelle le syndrome de Stendhal. Plan suivant: une grosse teuf sur le toit d'une villa. La vue sur le Colisée semble irréelle. le gratin mondain est là, musique assourdissante, boissons à flots, faune agitée. Arrêt sur image; Jep fête ses 65 ans. Une vie bien remplie, intense. Tout est dit, ou presque,car la vie de Jep( Toni Servillo, excellent comme toujours) n'est peut-être pas...
Il y a quarante ans, Jep aujourd'hui journaliste moyen , à écrit L'APPAREIL HUMAIN. L'appareil humain aurait pu être le titre du long -métrage de Paolo Sorrentino. Car partant du postulat de la grosse teuf, Sorrentino lance la machine: On pourrait penser à bien des égards à JET SET ( Oteniente) et LA TERRASSE ( Ettore Scola). "La Grande Bellezza" nous offre une chronique intime, désabusée , et ne se limite pas à la mondanité et de l'univers fascinant et morbide , des jets-seteurs.
Avec poésie, Sorrentino raconte les tribulations d'un personnage de prima bord vaniteux , mais aussi touchant, réalisant que sa vie a été comme une sommeil, un long sommeil. Un long sommeil ou Jep et ses "amis" seraient restés paralysés dans une faste et un luxe abscons , en dehors de toute réalité , trop moribonde pour être acceptée. Car passé les débauches, les soirées interminables sur fond de délires nombrilistes, les apparences et les costumes trois pièces ou plus, que reste-t-il? Un écrivain qui n'écrit plus, un homme déshumanisé. Le rapprochement avec le film grinçant de Ettore Scola est évident. La problématique est similaire: Des artistes et vedettes de hier, totalement en décalage avec leurs idéaux, sombrent dans la vanité la plus effrayante."détestant ce qu'ils sont devenus, devenus ce qu'ils détestent".
En somme, fêter pour oublier, et en groupe, ça fait moins mal.
Mais à l'inverse de LA TERRAZZA ou les personnages étaient traités de façon égale, LA GRANDE BELLEZZA est davantage centrée sur Jep. Conte de Jep en somme. Entre allégories et légèreté: un plafond, celui que Jep regarde tous les matins qui s'ouvre sur la mer fantasmée;Une amourette d'été que Jep revit quotidiennement, entre deux cocktails: Il avait vingt ans, elle dix-huit;Un entourage qui se désagrège, entre illusions et absurdité: On retiendra aussi la scène surréaliste de la salle d'attente chez le chirurgien esthétique, ou chacun des "convives" appellé par un numéro, vient de faire rassurer et oublier sa vie minable à coup de bistouri ou d'injection de cola gel; Et puis il y a Rome, plus objet que sujet du film, entre passé et présent, souvenir et rêverie, à la beauté fascinante. André Breton, cité dans le film, disait bien: "la beauté sera convulsive, ou ne sera pas".
Mais d'ailleurs, Rome , dont les meilleurs habitants seraient les touristes, peut -elle encore proposer autre chose que sa beauté convulsive?
C'est là la force du film: l'exploitations du thème de l'écrivain en disgrâce, qui peine à exister, dans sa ville trop belle , trop grande. Le rapport de l'homme à sa ville, de l'individu à l'immensité historique. Toni Servillo nous régale, amuse, interroge, nous raconte sa vie, à coup de discours philosophique avec une bonne soeur centenaire ; de vols de flamands au dessus de Rome, au crépuscule; d'ambiance délicieuse au petit matin, le tout ponctué par un générique final magnifique, témoin du génie contemplatif de Sorrentino. Et franchement, ça fait un bien fou.