Grippe-Sou a définitivement de quoi cabrioler comme un petit fou ! Le livre de Stephen King et le fameux téléfilm de 1990 ayant traumatisé toute une génération l'avaient inscrit dans la mémoire collective comme le clown le plus terrifiant de tous les temps mais son grand retour, et cette fois au cinéma prêt de vingt-sept ans (comme sa durée d'hibernation) après sa première incarnation physique, a été un tel succès que cet accro aux ballons rouges en est devenu le croquemitaine le plus rentable du grand écran ! En même temps, vu l'aura et l'attente qui entouraient une nouvelle apparition d'une des (la ?) plus mythiques créatures du romancier contemporain d'horreur le plus connu au monde, la première partie du diptyque signé Andrés Muschietti avait peu de chances de se planter. Cela dit, pour séduire les inconditionnels du roman, les nostalgiques du téléfilm et de nouveaux spectateurs n'ayant entendu jamais parler de l'un ou de l'autre, il fallait que la qualité soit aussi au rendez-vous afin que le film atteigne de tels sommets ! Et, à quelques réserves près, elle l'était.
Passée la relecture de la fameuse séquence entre le clown et Georgie qui imposait une violence bien plus démonstrative que la première adaptation de Tommy Lee Wallace et, de fait, plus en adéquation avec la tonalité du livre, Andrés Muschietti payait un peu le choix de son découpage unilatéral enfance/âge adulte sur deux films en étant incapable de trouver un liant suffisamment fort pour présenter la succession des premières apparitions de Grippe-Sou aux futurs membres du Club des Losers. Ainsi, les diverses rencontres avec les formes plus ou moins heureuses de la créature se mettaient à ressembler à un simple empilement de saynètes dénué de véritable structure narrative si ce n'est celle de nous familiariser et de nous attacher à la petite bande de héros très réussie qui, elle, allait devenir peu à peu devenir le ciment ayant manqué à ces débuts difficiles. Effectivement, dès lors que le Club des Losers se muait enfin en entité collective pour contrecarrer les plans meurtriers de Grippe-Sou, le premier volet de "Ça" prenait enfin toute son ampleur, un peu comme si leur unité synonyme de lumière qui effraie tant Ça allait en fait se répercuter sur le long-métrage lui-même. Ce tournant qualitatif se traduisait notamment par la scène du rétroprojecteur (renvoyant à celle, marquante, de l'album photo du téléfilm) avec comme point culminant une apparition monumentale de Grippe-Sou qui clouait le bec à tous les reproches que l'on avait pu faire aux précédentes.
Ainsi démarrait le meilleur de l'adaptation dont on avait tant rêvée. Le combat dans la maison de Maple Street puis celui dans ses profondeurs étaient de vrais enchaînements de morceaux de bravoure fourmillant d'inventivité et envoyant sans mal la dernière partie "enfance" du téléfilm dans les limbes de l'oubli. Contrairement à ce dernier qui était un peu passé à côté de cette donne, le film tirait parfaitement parti du potentiel de ce duel entre le Club des Losers et Ça, d'abord à distance avec l'utilisation insidieuse et métaphorique de leur entourage proche et adulte (le père de Beverly, terrifiant, le pharmacien, la mère d'Eddie et la plupart des habitants âgés de Derry suintaient le mal à l'écran) puis directement avec Grippe-Sou, créature interdimensionnelle et terrorisée de se battre à armes égales avec une bande d'enfants n'ayant plus peur de ses multiples visages. Bref, même les plus fervents défenseurs du téléfilm se devaient de le reconnaître, et ce malgré quelques autres choix faciles (des éléments essentiels du romans abordés sous forme de clins d'oeil/fan service, la nostalgie désormais familière des 80's, ...), il émanait de ce "Ça - Chapitre 1" un hymne contagieux à la force et à la pureté des amitiés d'enfance en totale adéquation avec l'esprit du roman et un adversaire maléfique qui, s'il n'avait pas gommé l'énorme performance de Tim Curry en 1990, était parvenu à imposer son statut de menace séculaire sous les nouveaux traits d'un génial Bill Skarsgård.
Et puis, il y avait bien entendu cette double promesse en suspens, celle bien sûr du Club des Losers de se réunir à nouveau si Ça revenait faire des siennes et également celle d'Andrés Muschietti vis-à-vis d'une deuxième partie "adulte" encore meilleure (celle du téléfilm ne pouvant être que surpassée), dotée d'une durée hors-concours pour son genre (2h50 !) et d'un casting impressionnant...
Comme un génial écho à la scène d'ouverture de la première partie, "Ça - Chapitre 2" démarre de manière rêvée avec, pour la première fois, un portage sur écran d'un des chapitres les plus emblématiques du livre se focalisant sur une agression homophobe où Grippe-Sou passe une tête pour signaler son retour vingt-sept ans après sa supposée disparition. Provoquant instantanément le sentiment de feuilleter à nouveau les pages de ce passage culte par son rendu extrêmement fidèle, ce prologue installe d'emblée la dose de noirceur et de violence qui, on l'espère, va gouverner l'ensemble de ce deuxième volet forcément appelé à une teneur plus adulte. Hélas, disons-le de suite, si certaines autres scènes viendront égaler la puissance de celle-ci (en gros, toutes celles où Ça se manifestera sous sa forme clownesque), aucune ne parviendra à surpasser sa densité dans un long-métrage que l'on pourra découper en trois phases distinctes et qui va, du fait de sa longueur, ne faire qu'exacerber les faiblesses de son prédécesseur.
Cela commence dès la partie "retrouvailles" du Club des Losers. Encore une fois, le choix d'avoir découpé le film entre les enfants et les adultes va poser un énorme problème de fluidité de narration. Là où ils étaient appuyés par le réveil des souvenirs des protagonistes, les coups de fil de Mike Hanlon à ses vieux potes s'enchaînent sans que le moindre impact émotionnel se fasse ressentir, pire, l'un d'eux à l'importance capital se retrouve expédié entre deux autres (le téléfilm s'était montré bien plus malin pour le traiter à sa juste valeur). Autre gros problème, l'alchimie peine vraiment à prendre entre le groupe des adultes qui, si l'on excepte la réunion au restaurant un poil plus convaincante que le reste, doit jongler entre un triangle amoureux réduit à ses plus simples contours, des acteurs semblant se demander ce qu'ils font là (coucou James McAvoy que l'on aura rarement vu aussi transparent et Jay Ryan dont il est bien dur de se rappeler le visage sitôt le film fini !) parmi d'autres bien plus investis (Bill Hader, Jessica Chastain et James Ranson en tête) et quelques passages frisant le ridicule car insérés de force dans des moments où ils n'ont normalement rien à y faire (tout ce qui entoure un certain rituel par exemple). Heureusement, quand le film se décide enfin à relier les deux époques 1989/2016 grâce à l'introduction de flashbacks, "Ça - Chapitre 2" reprend du poil de la bête...
Dans cette deuxième phase que l'on pourrait qualifier de "quête de souvenirs", Andrés Muschietti va en effet opter pour ce qui aurait dû être en son approche globale : l'entremêlement des lignes temporelles par des souvenirs ravivés du fait de situations aujourd'hui vécues adultes. Au premier abord, cela porte tellement bien ses fruits en créant cette vraie dynamique de groupe tant espérée au sein des Losers âgés et une mise en relief du discours sous-jacent du film (puiser dans une enfance oubliée pour pallier ses failles d'adulte) que l'on ne comprend vraiment pas pourquoi Muschietti ait choisi de s'en écarter à ce point depuis le premier volet. Mais, cela ne dure qu'un temps : alors que l'on croit que "Ça - Chapitre 2" a appris de ses erreurs pour se diriger vers la façon la plus judicieuse de raconter son récit, mauvaise pioche, le film choisit de séparer ses personnages et se met à nouveau à ressembler à un copier-coller de la succession d'apparitions (néanmoins de nature souvent différente) du précédent film. À partir de ce moment, cette seconde phase pourrait s'apparenter à un buffet beaucoup trop imposant pour notre petite personne où il faut à la fois goûter les plats que l'on adore mais aussi ceux que l'on déteste. Ainsi, les manifestations de "Ça" sont d'une qualité complètement aléatoire et parfois même doublées par un regard partagé entre l'enfant et l'adulte selon le personnage. À vous de voir celles que vous préférerez parmi de réels coups de génie fidèles au roman (et qui l'enrichissent même comme celle de Richie !) et d'autres beaucoup plus anecdotiques (l'une d'entre elles se verra même infligée d'une tentative d'humour "musical" tombant comme un cheveu sur la soupe) ou desservies par un trop-plein de CGI. Les connaisseurs du livre savent qu'un adversaire humain doit se mêler à toute cette affaire, on préfère vous prévenir: si ce n'est pour gagner du temps avant le grand affrontement entre les Losers et Ça, ses interventions n'auront aucune espèce d'importance...
Et cette bataille promise alors, dernière phase/sommet de ce très long long-métrage ? Eh bien, c'est une espèce de feu d'artifice qui condense à peu près toutes les qualités et défauts de ce deuxième volet. Tout donne l'impression de filer à la vitesse de l'éclair ne nous laissant que très peu de temps pour nous arrêter sur ce qui en ressort de meilleur ou de pire. On se retrouve chahuté entre ces deux extrémités sans parvenir à déterminer si l'ensemble se révèle satisfaisant ou non. Seule certitude, Bill Hader, James Ransone et Jessica Chastain y font très grands numéros qui insufflent une vraie émotion face à un Grippe-Sou déchaîné jusqu'à l'épilogue où les Losers nous rappellent magnifiquement notre attachement pour eux en guise d'au revoir...
Beaucoup, beaucoup trop long mais donnant bizarrement le sentiment de se dérouler dans une perpétuelle précipitation, "Ça - Chapitre 2" surpasse aisément la partie adulte du téléfilm de 1990, on vous rassure, mais les choix de découpages narratifs de Muschietti dans ce dyptique ne l'auront jamais servi, le réalisateur lui-même aura eu l'air de tâtonner sur ce terrain jusqu'à revenir ici vers quelque chose de plus proche du roman sans en retrouver la réelle saveur. On se retrouve alors avec une deuxième partie bancale et perdue entre ce que la première a su réussir et là où elle a echoué, le tout de manière ostensiblement exagérée à cause de la durée et où la balance qualitative serait inversée à cause d'une dynamique de groupe ayant beaucoup plus de mal à prendre.
Finalement, le clown Grippe-Sou est bien le seul qui n'aura jamais déçu au cours du deuxième volet de ses aventures mais son addiction naturelle à croquer de l'enfant apeuré pour se substanter aura été définitivement plus passionnante à suivre avec des héros de cet âge qu'avec leurs pendants adultes...