En 2007, le mythique magazine américain Life voyait sa sortie sur papier définitivement arrêtée pour passer en version numérique. Un fait symbolique d'une presse en pleine mutation qui sert de point de départ au film et qui actualise cette adaptation d'une nouvelle parue en 1939 et portée à l'écran une première fois en 1947. Ben Stiller, devant et derrière la caméra, joue le rôle de Walter Mitty, un timide employé du magazine en charge des négatifs photo, qui "s'évade" régulièrement de son triste quotidien en s'imaginant le héros d'aventures extraordinaires, le plus souvent aux côtés d'une collègue de bureau pour qui il en pince sérieusement et qu'il cherche à contacter par l'intermédiaire d'un site de rencontre. Mais un bug informatique le contraint à l'aborder dans la "vraie vie", alors que la disparition du négatif de LA photo censée illustrer la quintessence de Life et destinée à faire la une de l'ultime numéro à paraître en version papier va l'entraîner dans un périple à la recherche du célèbre photographe qui lui a envoyé la précieuse pellicule. Un périple que lui-même n'aurait jamais imaginé dans ses rêves les plus fous.
Même si Ben Stiller est un acteur comique fabuleux, son film reposant au départ sur le ressort narratif du rêve éveillé aurait pu aisément virer en comédie lourdingue (comme pouvait l'être sa précédente réalisation, "Tonnerre sous les tropiques" malgré son début prometteur), car si les séquences lors desquelles Walter "déconnecte" sont spectaculaires et parfaitement intégrées à la réalité de sa vie quotidienne, elles auraient pu s'avérer relativement pénibles si Stiller et Steven Conrad, le scénariste, avaient abusé de ce procédé tout au long du film. Heureusement, ils dissipent intelligemment cette crainte après une trentaine de minutes et le film prend véritablement son envol quand le personnage décide de ne plus rêver sa vie mais de vivre ses rêves, décollant vers l'inconnu pour se lancer tel un Forrest Gump pas neuneu dans cette chasse au trésor argentique. Du Groenland à l'Islande, du Yémen à l'Afghanistan, Stiller s'offre un pur plaisir de cinéaste d'aventures et des grands espaces, se mettant en scène dans des paysages époustouflants à travers des séquences épiques et poétiques. On assiste avec une réelle délectation à des moments de cinéma proprement exaltants, comme la scène du skate-board ou la montée in-extremis dans l'hélicoptère, accompagné musicalement par le duo virtuel Kristen Wiig/David Bowie sur le légendaire "Space oddity". La bande-son tiens, parlons-en car elle est essentielle et absolument sensationnelle: des monuments de pop/rock épique,("Wake up" d'Arcade Fire, "Lake Michigan" de Rogue Wave, "Dirty paws" de Of Monsters And Men, "Step out" et "Stay alive" de José Gonzalez) aux petites perles folk poignantes ("Don't let it pass" de Junip, "The wolves and the ravens" de Rogue Valley), elle illustre formidablement cette envie récurrente de faire le grand saut et d'exploser les barrières qui forment le cadre d'une vie, de revêtir la peau d'un héros ou d'un être "bigger than life". Si Stiller met l'accent sur la forme (et quelle forme!), il n'en oublie pas le fond, nous assurant notamment à travers le contexte émouvant de la fin d'une époque que le respect du passé est encore plus précieux dans une société dont l'informatisation massive dématérialise les choses et déshumanise les relations. Le film ne se veut donc pas une comédie multipliant les gags, même si le réalisateur/acteur y glisse évidemment quelques scènes très drôles - le rêve de la vanne sur la barbe et Dumbledore décochée au nouveau patron en charge de la transition du magazine (vous savez, cette nouvelle mode de chefs qui veulent se la jouer cool en faisant pousser leur système pileux pour masquer leur vrai visage: celui d'un connard), l'arrivée au Groenland suivie du karaoké éthylique massacrant un tube 80's de The Human League ou encore la fouille corporelle à l'aéroport de Los Angeles - mais une fable sincère, généreuse, résolument positive, dont la naïveté est totalement assumée. Et puis c'est touchant, la naïveté. Touchant comme le couple formé avec Kristen Wiig, élégante actrice de comédie (notamment remarquée dans l'excellent "Mes meilleures amies") qui dégage ce charme simple et naturel qu'une bimbo aguicheuse n'aurait jamais pu apporter au film, et qui attire irrésistiblement le regard rêveur d'un Ben Stiller confondant d'émotion retenue.
Bref, un de ces feel-good movies dont les américains ont le secret, flamboyant et visuellement somptueux, volontairement tourné sur pellicule à l'ère du numérique, superbe hommage à l'histoire du photo-journalisme et à tous les gens bossant dans la vraie presse qui ont encore le souci du travail bien fait.
Ben Stiller démontre avec panache qu'il a lui aussi ce souci en réalisant là son meilleur film, peut-être même le film…de ses rêves.