''Camille Claudel 1915'' de Bruno Dumont est un film qui en déroutera plus d'un. La raison ? A cause de ses partis-pris extrêment radicaux. En ce sens, il se révéle être l'opposé de son homologue ''Camille Claudel'' de Bruno Nuytten avec Isabelle Adjani (1988). Ce film, on s'en souvient était une biographie assez académique qui racontait l'histoire de Camille Claudel, cette sculptrice qui connaîtra une passion avec Rodin, avant de sombrer dans la folie. Bruno Dumont traite ce qui n'était pas montré dans le Nuytten : l'internement de Camille Claudel dans un hôpital psychiatrique.
Vous en avez assez de vivre ? Vous voulez en finir mais vous avez peur de faire le premier pas ? Rassurez-vous : ''Camille Claudel 1915'' est fait pour vous. Car le mot d'ordre de ce film est : austérité. Et cela ne serait pas un problème si Dumont n'était pas aussi … extrêmiste dans ses choix esthétiques. Lumière glaçante et grisâtre, filmage réaliste et surtout acteurs non-professionnels dans les rôles secondaires … tout cela pour rechercher une forme d'ultra-réalisme. Dans un premier temps, cela intrigue, mais, très vite, on se demande pourquoi rester devant ce film. En fait, le gros problème est là : quels sont les potentiels intérêts qu'on peut tirer de ce film ? A force de rechercher le réalisme, Dumont se détache complètement du cinéma, où plutôt de ce qui fait le cinéma. Totalement ? Non, car, choix étrange, qui démolit sa volonté de vérité, Binoche dans le rôle de Camille Claudel. C'est un choix incongru et hypocrite : quitte à choisir des comédiens non-professionnels, pourquoi réserver le rôle titre à une star ? Cela prouve qu'engager des non-professionnels ne sert à rien puisque les acteurs sont censés être capables (et Binoche est censée le faire plusieurs fois dans le film) d'adopter un non-jeu et donc, justement de paraître non-professionnels. Par rapport à ce parti-pris (qui est donc de plonger une star au milieu de non professionnels), on ne peut pas dire qu'il soit vraiment clair et même, honnête. Quant à Binoche, son regard n'est pas habité par une quelconque tristesse où une quelconque grâce mais par l'envie irrémédiable de remporter le césar de la meilleur actrice. C'est typiquement le rôle ultra-énervant à force d'être ultra-courageux (« et vlan ! 1ère scène, on voit Binoche, pardon, Camille Claudel à poil : ouah ! c'est super courageux et osé pour une actrice aussi connue! »). Avouons le : l'expression ''rôle à oscar'' est tout-à-fait adapté à la Camille Claudel de Binoche. Tout cela est en fait censé cacher l'affligeante prestation de Binoche. Il faut la féliciter de rater les scènes de silence (elle adopte une neutralité qui se veut éééévidemment toute Bressonniene, « qu'est-ce que vous êtes rempli de référence M. Dumont ! ») et les scènes de dialogue (de nouveau, Binoche pleure environ 847 fois dans ce film et lâche des monologues aussi ennuyeux qu'inaudible). Mais la direction de Dumont est prodigieuse puisque Jean-Luc Vincent dans le rôle de Paul Claudel atteint des sommets de je-m'en-foutisme (« ah ! Bresson quand tu nous tiens!) qui, au fond, correspond bien à la réaction du spectateur face au film.
Mais laissons de côté les acteurs pour en revenir à la question du cinéma. C'est alors que nous nous heurtons à un bémol qui n'est pas indéniable : le réalisme que recherche Dumont. Ici, chacun est libre d'avoir sa propre conception du cinéma : mais à quoi bon coller autant à la réalité ? On peut faire des films réalistes mais il faut un moment où le cinéma doit reprendre ses droits et justement devenir du spectacle. Or, et c'est là où ça coince, Dumont filme tout cela avec une objectivité clinique, maussade et, finalement, peu originale. C'est particulièrement flagrant dans la manière qu'à le réalisateur de filmer les autres détenus de l'hopital psychiatrique. Une absence d'empathie, de pitié anime ces plans, qui, à la rigueur, au sein d'un documentaire, auraient pu être acceptable. Sur ce monde-là, Dumont se prend terriblement au sérieux et est même assez prétentieux. Il lui manque le grain de folie d'un Milos Forman réalisant ''Vol au-dessus d'un nid de coucou'' (1975). A force de ne rien dire dans certaines scènes et d'en dire trop dans d'autres se crée un déséquilibre criant. Le désinteressement est là, mais Dumont rajoute la déprime à l'aide (à cause?) d'une photographie glaçante et figée. Cette couleur grise et grisâtre rappelle (et ce n'est vraiment, vraiment pas un compliment) la photo du ''Sacrifice'' (1986) de Tarkovski, autre film à se pendre.
Avertissement : avant de visionner ''Camille Claudel 1915'', débarassez-vous de tous les objets coupant qui se trouvent à proximité. Vous risquerez d'en faire un usage quelque peu excessif en vous tranchant la gorge. Certes, vous ne serez pas responsable de cet acte (la faute à cette satanée purge), mais dites-vous bien que certains films vous permettront de vous (re)donner la pêche. Et pour Camille Claudel, revoyez le film de Nuytten avec une Adjani des très grands soirs.