Camille Claudel, sœur du poète, dramaturge, diplomate et écrivain Paul Claudel, a entretenu une relation passionnelle et tumultueuse avec le sculpteur Auguste Rodin, de vingt quatre ans son aîné. Cet amour impossible, ainsi que son internement psychiatrique en 1913, la murant dans le silence le plus total, l'ont dotée d'une aura à hauteur de son génie.
Le succès du film – biopic de Bruno Nuytten en 1988, auréolé à la fois du César du meilleur film et du César de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani, est venu la sortir de l’oubli.
Aujourd’hui, c’est un autre Bruno qui vient lui rendre grâce, le réalisateur / scénariste Bruno Dumont, un habitué des récompenses Cannoises (Caméra d’or pour « La Vie de Jésus » en 1997, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1999 avec « L’Humanité », et même sacre en 2006 grâce à « Flandres »), dans une nouvelle œuvre cinématographique, sobrement intitulée « Camille Claudel 1915 », avec Juliette Binoche dans le rôle-titre et le metteur en scène Rachid Bouchareb à la production.
Avec « Camille Claudel », Bruno Dumont livre un portrait poignant, viscéral, brutal, et dépouillé de l’artiste (mal reconnue) Claudel, mais en même temps âpre et sans concession du fait d’un traitement assez radical, il faut l’avouer.
Au-delà du postulat de départ intéressant, le film de Dumont soulève également la question de l’asile aliénant – l’isolement institutionnel qui déshumanise – et de la frontière si mince en psychiatrie entre le Normal et le Pathologique. En effet, le « délire » de Claudel à thématique de persécution, d’empoisonnement et de spoliation interpelle tant il apparaît systématisé et plausible, au gré des faits historiques – jalousie du maître et amant Rodin, non reconnaissance à cette époque des productions artistiques de la Femme…
On regrettera peut être seulement deux choses : la mise en scène très sèche (absence totale de BO, huis clos, plans fixes rebutants), justifiée par une volonté d’hyperréalisme de la part du réalisateur, qui donne un arrière-goût d’austérité à l’odorat cinématographiquement nauséabond et au format un peu inadapté (il aurait peut être mieux valu calibrer l’œuvre pour style reportage – tv film France 2 afin de gagner en impact), ainsi que la représentation archaïque et grossière de l’aliénation mentale et des soins prodigués (séances d’ergothérapie, d’art-thérapie, sortie et repas thérapeutiques, ambiance terne, intrusion constante de la religion), néanmoins à recontextualiser et considérer dans leur époque, nettement plus triviale dans la prise en charge de ces patients.
Au contact de réels handicapés mentaux, Juliette Binoche livre une prestation de haute gamme de bout en bout, au regard des larmes coulant sur ses joues et des puissants monologues, cadrés de face en gros plans, comme si Dumont prenait à partie son actrice à la manière d’un témoin pour transcender un cinéma-vérité.
« L’art s’adresse à des facultés de l’esprit bien périlleuses » s’exclame Paul Claudel, incarné par Jean-Luc Vincent, dans un face-à-face final cinglant où l’heure de vérité a sonné, ponctuant ainsi l’intolérance du frère vis-à-vis de la « pathologie » de sa sœur.
Bilan : Bruno Dumont, réalisateur reconnu dans le monde de la critique, offre un film biographique étourdissant et bourru de l’artiste Camille Claudel, qui avait peut être plutôt la trempe d’un TV film que d’une fiction cinéma.