Bullhead est mon premier vrai coup de cœur de l'année 2012. Ce film est une énorme claque dans la gueule comme j'aime en prendre quand je vais au ciné. Avec le choix d'un thème de fond qui peut paraître assez peu propice à faire un film poignant, le trafic d'hormones dans l'élevage de bovins, Roskam ré-invente, ou plutôt ré-actualise, les films de mafias. C'est un film incroyablement moderne et vrai, qui a réussi à rendre le milieu de l'agriculture, du bétail et de la chair absolument passionnant. Mais toute l'histoire de trafics n'est en fait que le prétexte (sans jamais être artificiel pour autant, attention), l'arrière-plan, au vrai sujet du film : les blessures des hommes, et ici, d'un homme en particulier. On a droit pendant 2 heures à un parallèle bouleversant entre la vie de Jacky VanMarsenille et celle de ses bêtes. On ressent intensément toute la peine, la honte, qui ont été les seules compagnes de vie d'un homme transformé en boule de souffrance. Et le choix de l'acteur est parfait. Matthias Schoenaerts est juste TRANSCENDANT. Il habite le rôle de sa gueule cassée, on ne peut tout simplement pas l'imaginer dans la vraie vie comme quelqu'un d'épanoui. Son interprétation à fleur de peau est à couper le souffle et donne au personnage toute son envergure, sa noirceur : celle d'un écorché vif qui cache derrière une virilité débordante une fêlure irréparable. Schoenaerts transpire littéralement la testostérone et réussit pourtant à nous faire sentir la fragilité de Jacky. Il incarne à lui seul toute la complexité et la dualité de l'homme. Le film est hyper naturaliste, Jacky n'est plus vraiment dans le monde des hommes et vit comme une bête enragée, et la caméra avec ses plans en plongée sur le visage fermé de Jacky rendent à la perfection le mal-être de l'homme (l'Homme ?). Les scènes de violence sont crues (comme je les aime) et terriblement prenantes. Le Parallèle entre bétail et êtres humains est total, il englobe le film : on a l'impression d'entendre beugler en permanence, même quand Jacky respire... L'histoire d'amitié fout un nœud dans la gorge au spectateur sans jamais s'engouffrer dans un espèce de pathos, j'ai retrouvé la profondeur de l'histoire d'amitié d'Il était une fois en Amérique (avec ici un schéma un peu opposé), c'est pour dire. Bizarrement ce film transpire la douleur mais je l'ai trouvé moins lourd et plus subtile que Detachment (je les compare car c'est les deux derniers films cinés que j'ai vus). Parce que tout est réellement bien manié : il y a des touches d'humour qui viennent faire sourire voir rire à des moments impromptus (notre duo de garagistes belge y est pour beaucoup). Exemple : le moment où Jacky demande à Diederik s'il est pédé, on a toute l'ironie du sort résumée dans ce très court passage, et on arrive à en rire. Une autre scène m'a aussi beaucoup marquée, celle de la boite de nuit. C'est ce genre de scènes complètement fascinantes où l'on est happé par le film, où le temps s'arrête, où l'on oublie qu'on est dans un salle de ciné et où on admire. Et la fin laisse sans voix... Bon alors si je devais donner un bémol au film ce serait peut-être cette plongée subite (à première vue) et un peu clichée dans l'ultra violence, mais je trouve qu'elle est amenée avec une finesse qui fait qu'on ne tombe en fin de compte pas dans le gratuit et que tout se tient. Non vraiment, j'ai du mal à être objective même sur les défauts du film, parce que je reste vraiment fascinée par cette baffe que je viens de me prendre devant mon écran. À voir (mais je déconseille aux gens qui n'aiment pas les films sombres) de toute urgence, on a vraiment affaire à un chef d'œuvre là.