On a évidemment beaucoup parlé de The Artist dans le cadre des oscars 2012. On a aussi évoqué Une Séparation, qui a glané comme prévu la statuette du meilleur film étranger. Moins de bruit pour un autre des nominés, Bullhead de Michaël R. Roskam, qui est sorti discrètement chez nous la semaine dernière. Et pour cause, au-delà de la grande qualité de ce film belge, c’est une œuvre complexe et difficile, qui évolue dans un curieux croisement du polar, de la saga familiale et du film noir. Et cela dans un des lieux les plus improbables pour se livrer à ce type d’exercice : la Belgique, non loin de la frontière linguistique entre wallons et flamands.
Une zone assez rurale, partagée entre des fermes et des petites villes, où a grandi Jacky, qui tient une exploitation de vaches à viande avec son frère. Utilisant sans vergogne les hormones pour doper leurs bêtes, ils vont se retrouver progressivement dans les mailles d’une toile complexe, entre mafieux peu scrupuleux, indics et flics à la poursuite du réseau.
Ce film est une vraie curiosité. Car si l’on retrouve ici la plupart des ingrédients classiques du polar, ils sont passés ici au filtre de la Belgique, ce qui rend l’ensemble à la fois original et imprévisible. Il n’y a peut-être que chez les Dardenne que l’on a l’impression d’avoir déjà vu des images se rapprochant de ce récit dur et aride. Le pays aux deux langues est omniprésent. Sa culture, sa séparation entre wallons et flamands, son ambiance. Ses trafics d’hormones aussi. Ses petites villes, ses garages minables et ses petits trafics. Voilà pour le cadre, mais l’essentiel est ailleurs, il est incarné par une montagne de muscle qui se rapproche parfois plus de ses bêtes que d’un être humain. Au moins en apparence.
Car derrière le polar violent et tortueux, Bullhead est avant tout la description minutieuse de la trajectoire de cette « tête de bœuf », ce Jacky renfermé, imposant, secret. Une présence fascinante, incarnée avec beaucoup de nuances par l’exceptionnel Matthias Schoenaerts, à la présence physique assez bluffante.(il a d’ailleurs décroché un rôle dans –excusez du peu- le prochain film de Jacques Audiard)
On comprendra rapidement qu’un trauma se cache derrière ce caractère méfiant et cette carrure impressionnante. On nous le rappelle à l’écran, les images sont d’une violence et d’une cruauté insoutenable. Voyeurisme ? On se rend compte que non, car ces images mettent le film sur ses rails, en donnant un but et un corps à l’ensemble des protagonistes. Peu à peu, comme dans tout bon polar, les trajectoires se bouclent, les personnages se rejoignent, les enjeux se lient. Et comme dans toute tragédie qui se respectent, ce sont les protagonistes eux-mêmes qui semblent creuser leurs propres tombes. Une voiture que l’on devait abandonneer, des pneus neufs un peu trop faciles à acheter, des collègues décidemment peu recommandables..
Là où Bullhead est remarquable, c’est dans sa noirceur, sa radicalité qui ne ménage pas le spectateur, tout en le faisant aussi tourner autour d’une histoire d’amour, et le faisant parfois basculer dans le burlesque avec les péripéties de ces deux impayables garagistes wallons. Un pot belge à recommander chaudement…exclusivement à ceux qui ont l’estomac bien accroché
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