J'ai vu deux films d'Alain Cavalier, Thérèse et Irène, deux films qui font tous deux partis de mes films préférés. Je savoure également ses 24 courts métrages où il fait le portrait de femmes qui travaillent dans des métiers atypiques.
Je connais un peu Cavalier, mais ce bonhomme est sans doute le plus surprenant à l'heure actuelle dans le cinéma mondial, je pouffe à entendre que Scorsese est le seul à se renouveler. Je veux dire il a 80 ans et continue d'explorer le cinéma comme une Terre vierge, je veux dire on est habitué que Godard nous fasse un film complètement fou, on sait que des gens comme Dumont ou bien Bonello (que je viens de découvrir avec de la guerre) sont des petits surdoués du cinéma français, que Resnais fait son petit chef d'oeuvre délicieusement atypique tous les deux ou trois ans, mais Cavalier reste une énigme totale. Ce mec ne fait pas du cinéma (enfin avec Thérèse il en faisait), mais là ça va bien au delà de la notion de cadre, de montage, de scénario.
Voir Vincent Lindon que je peux adorer, comme je peux le détester (je vous laisse deviner si je l'aime ici ou non), faire cuire des asperges dans une poêle, sans jouer de rôle, comme ça, filmer un acteur faire la cuisine pour faire la cuisine, pardon mais j'ai jamais vu ça au cinéma. Tous les apprentis esthètes peuvent venir râler ce qu'ils veulent sur les valeurs de cadre qui ne sont pas respectés, les contre jours, la caméra qui bouge, le point pas toujours bien fait. Mais bordel, le vrai cinéma, celui qui exprime quelque chose, et qui n'est pas juste une mauvaise photo c'est ça. Voir un mec jouer au président, jouer au premier ministre, tout en sachant que c'est de la fiction, puis tombant parfois dans le réel, ou parfois le réel tombant dans la fiction, voir dans ce plan final Lindon prendre des initiatives sur la mise en scène, c'est juste génial. C'est une sorte de journal intime cinéma, ça va plus loin qu'Irène le précédent film du cinéaste, parce que là il y a de la fiction.
Et puis lorsqu'on voit ce navet qu'est la conquête qui a été médiatisé à outrance alors que ce film tourné avec trois fois rien, d'une richesse folle qui dit mille fois plus de choses sur le pouvoir, sur la politique. Lorsque j'entends Cavalier et Lindon se disputer pour savoir si on instaurer un salaire maximum à 1/10 ou 1/15, je jubile, si seulement le vrai président se posait se genre de question. Et puis on sent que ce peuple imaginaire n'est pas d'accord avec cette réforme, que comme le disait Garrel, dans les amants réguliers, la révolution du prolétariat se fera malgré le prolétariat.
Entre des discours bien à gauche, bien pensé, loin des âneries du PS actuel, mais c'est juste excellent.
Entendre Lindon dire que si on quitte la France à cause des impôts avec son argent on doit rendre la légion d'honneur, qu'on ne doit plus bénéficier des la sécurité sociale. Mais que de bonnes idées !
Le moment où on sent que Lindon se prend au sérieux dans son rôle de premier ministre, mais c'est juste énorme.
Et on assiste à une sorte de jeu de rôle réjouissant où tout se mélange avec brio. J'aime ce genre de films bricolés, improvisés, où on dépasse les simples considérations d'ordres techniques.
Alors je n'ai peut-être pas été autant ému que devant Irène, mais quelle jubilation.
Et comme le dit Lindon, "c'est vrai puisque c'est du cinéma".
Un film à voir, pour ceux qui ont l'esprit assez ouvert pour se lancer dans cette expérience qui ne ressemble à aucun autre film, le seul film qui pourrait de loin s'y rapprocher c'est Le bal des actrices pour le côté mélange fiction/documentaire, même si le bal des actrices était dans la fiction, là la question on se la pose, cette scène elle est répétée ou non ?
On sait que Cavalier filme tout, laisse ses commentaires en voix off. On assiste à la fois la genèse du film et au film fini c'est tellement novateur et tellement bon.
Un très grand film.