Allez, je le fais, je le dis, je l'écris. Non, "Pater" n'est pas une réussite. Alain Cavalier, expérimentateur un peu fou taraudé par la question de l'identité filmique (qu'est-ce qu'un film, qu'est-ce qui induit la notion du réel, où est la jonction avec la fiction, un film a-t-il un but?), et surtout filmeur hors des sentiers battus et des systèmes de financements actuels, il signe ici une oeuvre déroutante, non pas au sens profond du mystère et de la complexité formelle ou intellectuelle, mais plutôt de la frustration de se retrouver devant un objet de vidéaste détournant à chaque seconde son rôle de metteur en scène, jusqu'à une certaine élégance qui ne sera jamais quelquechose de plus que celle du bon mot et de la bonne bouffe dans la bouche de deux bons vivants. Bref, rien de plus que l'agaçante posture d'un certain bon goût; L'exercice abscons dans lequel s'est lancé Cavalier est celui d'un film alternant le hasard du tournage avec la pensée de la caméra. Le réel et la mise en scène se croisent dans un style ludique non désagréable mais simplement, la seule question que l'on pourrait poser à Cavalier au-delà de ses à priori éblouissantes questions essentielles sur ce qu'est le cinéma (questions sans réponses), est plutôt celle du but et de la traduction d'une pensée. Le montage alterne comme un programme la vie et le cinéma, avec des idées politiques sous-jacentes comme si Cavalier, qui se veut Président épaulé d'un Premier Ministre nommé Lindon, du haut de sa tour prestigieuse entre Saint-Sulpice et les banlieues parisiennes huppées, regardait le monde avec un oeil faussement cynique et attendri. Car à part nous dévoiler sa collection de cravates hors de prix, de souliers fraîchement cirés et de chemises, à part filmer des assiettes alléchantes et des cigarettes qui se consument tout comme le bon vin se raréfie dans le verre des buveurs, Cavalier n'a strictement rien à dire. C'est tout juste s'il pense ; "Pater" est un film à peu près sans queue ni tête, sympathiquement porté par la gouaille profondément sincère de Vincent Lindon. Mais quel propos? Quelle ambition sinon de balancer entre fiction et réalité? Et quand bien même, pour Quoi? Un film n'est pas obligatoirement un message. Preuve en est la seule notion de politique qui ressort de "Pater" échappe au cliché du vieux révolutionnaire et ne devient qu'un simple jeu de rôles. Il peut-être aussi un pur plaisir personnel de la part de son auteur ; et à n'en pas douter c'est de cela qu'il s'agit dans "Pater", moment intime entre amis. Il est clair que Cavalier a les moyens personnels de présenter au Monde un film comme celui-là tant il semble inaccessible et dénué d'interêt quelconque pour n'importe quel public. Sa fonction est, heureusement, d'être plus sincère que mercantile. Il y arrive absolument, mais dans une autre mesure la question étrange qui persiste consiste plutôt à se demander si Cavalier se prend vraiment au sérieux et croit vraiment être un brillant penseur dans le cas présent? On me rétorquera que c'est bien là le génie de son film, de faire du public une entité larguée au même niveau face au tour de passe-passe instauré par le vieux génie Cavalier. La réponse me semble encore plus évidente que la question, mais peut-être parfois vaut-il mieux ne pas comprendre. Mais je l'avoue ; je remplis ces lignes pour pouvoir parler un peu du film, pour le plaisir d'écrire, simplement, comme Cavalier prend j'imagine plaisir à filmer. Peut-être puis-je ainsi ouvrir un débat qui n'existera en tout cas pas par le film lui-même. Au fond, peu importe. J'ai eu, dans le meilleur des cas, soit la légère impression d'assister à une sympathique séance d'intimité qui ne me concerne pas, soit l'impression, plus grave, d'être face à l'oeuvre d'un vieil homme fortuné qui filme la richesse de son nombril.