Considéré comme un film à part dans la filmographie du maître du suspense, "Pas de printemps pour Marnie" n’était pas vraiment une priorité pour moi, surtout au vu des classiques qu’il faut avoir vu tels que "Psychose", "Fenêtre sur Cour" et autres "Sueurs Froides" (qui m’a déçu mais passons). Pour autant, la présence au générique de Sean Connery (qui venait tout juste d’interpréter James Bond) a eu raison de mes réticences. Et, même s’il n’est pas parfait, "Pas de printemps pour Marnie" s’est avéré être une bonne surprise. Certes, on pourra, comme toujours, regretter les défauts de mise en scène typique de Hitchcock qui ne peut s’empêcher de multiplier les plans franchement kitchs (les scènes intimes entre les deux héros ont énormément vieilli) et de surexploiter la musique de Bernard Hermann, qui n’est pas désagréable au demeurant mais qui est bien trop omniprésente. On pourra, également, reprocher des erreurs moins pardonnables (les scènes parfois trop allongées et, surtout, l’invraisemblable peinture murale faisant office de décor et qui était déjà dépassée à l’époque de la sortie) et des tics de mise en scène plus pénibles, comme cette redondance du filtre rouge
censé marqué le traumatisme de Marnie
… et qui, paradoxalement, a permis au film de marquer les esprits. Enfin, vieux film (et goût prononcé de Hitchcock pour les tournages en studio) oblige, on ne compte plus les plans où le décor déroulant pique les yeux (les scènes à cheval étant l’exemple le plus flagrant). Pour autant, pour peu qu’on parvienne à passer outre ses défauts formels et ce romantisme exacerbé, "Pas de printemps pour Marnie" s’avère être un film étonnement retors dont l’intrigue s’éloigne considérablement des sentiers battus et dont les personnages brillent par leurs richesses toute en contradiction. Ainsi, l’héroïne a beau être une arnaqueuse spécialisée dans le vol de ses employeurs, elle n’en demeure pas moins
une victime ne parvenant pas à comprendre son traumatisme
. Son mari se distingue par son goût pour la manipulation et un certain autoritarisme
puis surprend par son humanité et son amour sincère envers celle qu’il retient contre son gré
. Quant à la mère de Marnie, elle est décrite comme particulièrement détestable
mais cache un terrible secret.
Outre la richesse de personnages, c’est la manière dont Hitchcock mène son récit qui m’a le plus surpris. En effet, le réalisateur ne nous avait pas forcément habitué à si peu dévoiler son jeu et à brouiller, à ce point, les tenants et les aboutissants de son intrigue. On navigue en eaux obscurs pendant une bonne partie du récit
(quelles sont les motivations de Marnie et, plus mystérieuses encore, celles de Mark ? Que va-t-il advenir du mariage ? Quel sera le rôle de ma belle-sœur jalouse ?)
, ce qui permet de développer considérablement la psychologie des personnages, ce dont le réalisateur est peu coutumier. Il faut, ainsi, attendre la séquence finale,
violemment catharsistique
, pour comprendre où ce brave Hitch’ voulait en venir. Cette scène est, d’ailleurs, incontestablement la plus réussie du film puisqu’elle dévoile la face cachée de l’ensemble des personnages principaux, qu’elle bénéficie d’effets de mise en scène plutôt novateurs (pour l’époque) et qu’elle offre à Tippi Hedren la meilleure scène de sa carrière. L’actrice (qui avait été révélée dans "Les Oiseaux") est, d’ailleurs, épatante dans ce rôle difficile de voleuse frigide et impressionne par son subtil mélange de fragilité (voir les scènes avec sa mère) et de dureté (son regard lors des face-à-face avec Mark), le tout agrémenté d’une sourde folie intérieure. Parfaite représentation de la beauté glaciale typiquement hitchcockienne (comme Grace Kelly avant elle), Tippi Hedren irradie l’écran à chacune de ses apparitions… ce qui aurait dû avoir pour effet d’éclipser son partenaire. Heureusement, Hitchcock a eu la grande idée de faire appel aux services à l’extraordinaire Sean Connery, monstrueux de charme et de charisme, qui parvient à rendre son personnage particulièrement attachant malgré son ambivalence. Sa présence est telle qu’elle fait presque oublier
la scène du viol, objet de toutes les tensions entre le réalisateur et son scénariste initial… et qui a été considérablement allégé sur grand écran par rapport au roman
. Ce formidable duo d’acteur ne doit pas faire oublier la non moins formidable Louise Latham, terrible de dureté dans le rôle de la mère et, dans une moindre mesure, Diane Baker en belle-sœur intrigante (dont le rôle aurait cependant gagné à être davantage exploité). Au final, malgré ses envolées lyriques un peu maladroites et une mise en scène datée, "Pas de printemps pour Marnie" s’avère être une bonne surprise, bien supérieure à certains classique du maître... et peut être considéré comme le dernier film majeur d’Hitchcock.