Bertrand Tavernier entreprend ici l’adaptation de « La Princesse de Montpensier », une nouvelle historique méconnue de Madame de La Fayette. La jeune Marie, mariée contre son gré au prince Philippe, éprouve un amour réciproque pour le duc de Guise, tout en étant désirée par le meilleur ami de son mari, le comte de Chabanes, et le futur roi de France Henri III, le duc d’Anjou.
Si la maîtrise classique du réalisateur et ses fréquentes percées dans le film à costumes historique (« Que la fête commence… », « La Fille de d’Artagnan », « Capitaine Conan ») sont censées être de bon augure, force est de constater que plusieurs déceptions nous animent suite à la projection.
La première, est ce n’est pas la moindre, réside dans les choix de transposition, auxquels se heurtent toutes les adaptations de chef-d’œuvre littéraire (bien que le terme soit un peu excessif pour le court récit de La Fayette, une quarantaine de pages en édition Pocket). Il s’agit ainsi pour Tavernier à la fois de caser les épisodes marquants de la nouvelle mais aussi de développer ce qui est suggéré par la prose retenue voire précieuse de La Fayette, et donc d’osciller sans cesse entre la concision classique du modèle original et une certaine dilatation propre au langage cinématographique. Le film s’enlise dans ce savant numéro d’équilibriste.
Les passages obligés sont ainsi traités sans génie. Nous pensons par exemple au fameux épisode de la barque, pour lequel Tavernier tente un plan pictural par trop bâclé et qui ne suscite aucune émotion particulière, alors qu’il aurait pu produire un mélange de féerie et d’érotisme. Cette légèreté se retrouve dans la scène de bal et l’entrée de Maures, qui offrait pourtant tous les ingrédients pour un joli exercice de style cinématographique.
Par ailleurs, les ajouts pratiqués dans le film sont maladroits voire agaçants, tendant à une surinterprétation un peu méprisante pour le spectateur, comme s’il y avait un besoin tacite de tout lui expliquer, à l’image de cette inscription sans ambages gravée dans les murs du château des Montpensier : « Vertu pour guide ». Si les scènes de bataille sont correctes sans être époustouflantes (c’est le moins que nous puissions écrire) et que l’audience accordée par Catherine de Médicis, entourée par sa nombreuse famille, s’avère un ajout judicieux, l’adaptation force en effet le trait sur le dilemme entre raison et passion qui anime la princesse de Montpensier et tous les personnages de l’œuvre. La haine cordiale qui sourd à fleurets mouchetés dans la nouvelle entre le prince de Montpensier et le duc de Guise éclate ici dans un duel bien viril ; la difficulté de la condition féminine qui constitue un sous-texte intéressant chez La Fayette est exprimée explicitement dans des causeries peu profondes de bonnes femmes, qui renforceraient plutôt les convictions du misogyne le moins convaincu ; enfin, et ce n’est pas le moindre reproche, le style élégant de la femme écrivain et son érotisme subtilement suggéré sont malmenés dans le film par des scènes de sexe gratuites et grossières. Il ne faudrait pas oublier non plus une fin qui traîne en longueurs, avec des rebondissements successifs montés à la va-que-te-pousse.
Hormis ces soucis d’adaptation, le casting présente des acteurs au talent très inégal. Lambert Wilson porte littéralement le film sur ses épaules, en rendant plutôt bien l’amour digne et sincère du comte de Chabanes, ainsi que ses doutes sur la nécessité d’un positionnement politique et religieux. Gaspard Ulliel est convaincant en séducteur fougueux, Raphaël Personnaz offre quelques nuances subtiles dans le jeu du duc d’Anjou, tandis que Vuillermoz fait du Vuillermoz, ce qui ne peut jamais être mauvais. Une grande partie de la déception éprouvée, voire même d’une certaine gêne en voyant ce film, vient du couple Montpensier. La prestation terne de Grégoire Leprince-Ringuet n’est pas inhérente au rôle, Philippe de Montpensier étant en proie à des accès de fureur et de jalousie chez La Fayette, qui ne sont ici absolument pas crédibles dans leur gradation. Et que dire de Mélanie Thierry ? Ses attitudes espiègles et suggestives, ses sourires en demi-coin, semblent davantage propres à un film de maisons closes, du style « L’Apollonide », qu’à une œuvre s’interrogeant sur les gouffres de la passion et la nécessité de la vertu. La diction de ces deux jeunes acteurs, qui ânonnent littéralement leur texte, prête enfin à sourire : nous avons le sentiment d’écouter les alexandrins burlesques de la bande dessinée « De Cape et de Crocs », mais le burlesque n’est pas vraiment le ton attendu ici.
En définitive, sans doute aussi en raison de son statut de « film patrimonial » produit par Frédéric Mitterrand, Bertrand Tavernier semble gêné aux entournures et nous livre une œuvre mineure, et même parfois franchement mauvaise.
Il est regrettable que ce soit précisément ce film du réalisateur qui ait été choisi pour figurer au programme des Terminales Littéraires pour l’année scolaire 2017-2018, alors que le cinéma français regorge de nombreux joyaux classiques qui seraient davantage en mesure d’y convertir les jeunes élèves.