A faire la critique de Thirst, deuxième oeuvre primée de Park Chan-Wook à Cannes (prix du Jury ex-æquo) après le Grand Prix de son chef-d'oeuvre Old Boy, beaucoup semblent se casser les dents. Non pas bien sûr que je me permette de juger de façon péremptoire l'avis du public, mais plutôt que l'embarras des allocinéens pour décrire les sentiments souvent antagonistes procurés par le film me paraît manifeste. Et franchement, je suis quelque peu dans une situation semblable. Quoi de plus compréhensible, il faut dire, que de ne pas savoir sur quel pied danser au vu de ce film de vampires inspiré de Thérèse Raquin, étude de caractères et troisième roman de Zola. Personnellement, je trouve quand même relativement peu de choses à reprocher à Thirst, si ce n'est une tendance gênante à la grandiloquence, parfois mal dosée, et son manque de fluidité (à partir de la fin d'une première heure au contraire presque trop monocorde). Pourtant, avec quelques coupes, quelques réarrangements, on pourrait tenir là une grande oeuvre sur la démesure des passions, devisant sur beaucoup de points avec clairvoyance (Chan-Wook a commencé par des études de philosophie, et raconte rarement n'importe quoi) et remodelant admirablement le mythe des vampires à l'aide de la religion (même si cette partie du propos est malheureusement un peu effacée chemin faisant). J'ai particulièrement apprécié une facette de l'histoire ; celle de la revanche d'une jeune fille brimée sur fond d'hybristophilie, de tempéraments anti-parrallèles, de pulsions incontrôlables. Transgressif et innovant. Original, on ne peut pas dire que Thirst ne l'est pas. Et visuellement parlant, il en va de même. C'est d'ailleurs à ce niveau là que Park Chan-Wook a tant divisé ; lui, le virtuose au talent insolent déjà plusieurs fois prouvé, semble tout se permettre - le sujet semblant de fait lui tenir très à cœur puisque Stoker l'a judicieusement repris par la suite. Au final, si le cinéma est un langage, Chan-Wook en est un orateur polyglotte, qui mélange les dialectes, les idiomes, se permettant sans cesse des néologismes. Le problème, c'est que Thirst contient aussi certains barbarismes gênants, des moments où Chan-Wook verse dans l'effet de style inutile ou déplacé. Si son style est ultra-créatif, le réalisateur en fait parfois trop, cassant le tempo et mettant involontairement le spectateur mal à l'aise. Quand on passe d'une chaleur torride à une subite averse de mousson, on trouve la situation inconfortable. Ben là, pareil. N'empêche, on a encore droit à quelques plans superbes, à quelques idées géniales qu'on retrouve rarement ailleurs que chez le petit génie coréen. Et puis c'est toujours un plaisir de retrouver Kang-ho Song, très fréquemment aperçu chez Bong Joon-Ho ou Jee-Won Kim, qui collabore avec Park Chan-Wook pour la troisième fois et autant de succès. Avec Min-Sik Choi, sans doute l'un de mes acteurs coréens préférés, la plus belle preuve en étant tout simplement que j'ai fini par en retenir le nom. Bref, loin d'être dépourvu de qualités, Thirst est une oeuvre macabre et virtuose qui manque malheureusement de tenue et d'une longueur un poil excessive, malgré les fulgurances habituelles, un propos riche et un épilogue excellemment écrit. Quand même du cinéma haut de gamme.