Des yeux clairs et opaques s'éveillent sous un masque neutre. On y devine des larmes et une voix chuchotée qui cache un besoin d'hurlements. La voix si douce et si étrange d'Edith Scob, qui offre au film sa silhouette frêle d'oiseau fantomatique, esprit inquiétant d'une douleur insistante, qui erre dans des couloirs infinis, escalier dont les barreaux creusent des fissures d'ombre et de néant, la perdant, la malmenant, la manipulant dans un cauchemar trop propre.
La façon dont Franju met en scène son film se révèle d'un indiscutable génie. Ses cadres comme les mouvements des yeux et des membres des acteurs sont d'une précision chirurgicale, d'une froideur terrifiante. Par moments, le film atteint le stade de glacial, glacial dans sa forme la plus pure : il y a, d'abord, cette scène d'opération tendue et clinique, qui fait froid dans le dos, installe un malaise et un trouble diluée dans la totale désincarnation des personnages. Très vite, alors, cette sécheresse jusqu'alors mineur prend le pas sur l'intrigue et le film tout entier : sans distance aucune vit à vis des faits qu'il montre, Franju s'en tient à l'examen des faits, dans un style aussi figé que les intenses yeux bleus d'Edith qui semblent hanter chaque plan.
Je dois avouer que cette forme de poésie ultrasophistiquée est loin de me toucher intimement, mais, au milieu d'un ennui qui s'installe, quand même, au bout d'un petit moment, cette même poésie singulière produit, ici et là, par fragments, météores éclatés et dispatchés dans un ciel de masques, de magnifiques fulgurances, envolées lyriques qui élèvent, assez brillamment je dois dire ; une œuvre curieuse, mais pas totalement renversante.