Long-métrage sur le corps, sa beauté, son obsession, "Les Yeux sans visage" dépeint avec une minutie chirurgicale les atrocités commises par un père, pour redonner à sa fille son visage d'ange.
Dans un premier temps, Franju s'affaire à dépeindre une bourgeoisie rongée par son image, atteinte d'une véritable psychose de la beauté plastique, se traduisant dans la mise en scène en une multiplication des surfaces réfléchissantes (miroirs, verreries, vitres etc) et en une accumulation de gros plan sur les visages, mais surtout par un jeu de cadrage captivant, faisant redouter l'apparition du visage de Christiane tout en nous frustrant par son absence.
Mais la critique sociale évolue vers une thématisation plus intime, plus lyrique, et plus passionnante encore. Le montage devient alors parallèle, entre la froideur du père, ses actions méticuleuses et meurtrières, et la mélancolie qui habite sa fille, véritables parenthèses poétiques durant lesquelles la distance - émotionnelle et situationnelle - qui la sépare des animaux semble s'effacer : tout autant un oiseau en cage que ces colombes, tout autant un sujet d'expériences que ces chiens.
Certains points restent toutefois regrettables, à l'image de l'enquête policière venant inutilement briser un suspens pourtant palpitant, ainsi que l'apparition du visage de Christiane, empêchant d'y inscrire une peur de l'inconnu jusque là palpable.
Cependant, le travail de Franju est exceptionnel, tant dans son discours que dans sa mise en scène, opposant deux mondes : celui de la forme, volatile et mortifère, à un autre, plus abstrait, celui de la beauté de l'âme. Cette intention se traduit en une imagerie organique pour le père, dont le point d'orgue est la première scène d'opération, là où l'onirisme prévaut pour la fille. Malgré ses failles, "Les Yeux sans visage" bouscule dans son approche, car la poésie l'emporte.