Intéressant. Voici les pensées qui me viennent sur ce film que je ne raconterai pas.
C'est un film qui interroge la connaissance qu'on transmet et l'éducation : ici, ce sont les parents, sorte de monstre bicéphale en parfaite connivence, qui veulent à tout prix maîtriser et contrôler l'environnement de leurs enfants afin de les modeler à leur manière. J'imagine que le père n'est sans doute pas satisfait d'être à la tête (ou presque - car il semble qu'il a un supérieur) d'une usine, il a besoin de tout contrôler. Sa famille est une extension de lui-même qu'il doit maintenir, contenir, délimiter. C'est une mission qu'il semble s'être donnée. Ses enfants ne sont pas sortis de lui pour vivre leur propre destin, ils sont encore "à l'intérieur de lui" pourrait-on dire, et il en est pleinement responsable, de A à Z, comme on peut l'être de ses stylos, de ses vêtements, de ses objets.(A qui on ne donne pas de nom, tout comme les personnages du film n'en ont pas. Il y a une tentative avec "Bruce" qui montre bien comment l'aînée tente de s'émanciper).
A quoi cela me fait-il penser ? A "Violence et passion" (Visconti) par son huit-clos qui part en vrille.
Au mythe de la caverne (Platon) en ce qui concerne la construction de ses connaissances. Ici, les avions qui passent dans le ciel finissent parfois par tomber, et cela devient de petits avions de 10 cm de long, jouets que les enfants mériteront ou pas. Les bouteilles d'eau en plastique sont consciencieusement dépouillées de leur enveloppe publicitaire. Les canines tombent et repoussent quand on est assez grand pour quitter le nid familial (autant dire, jamais). Les paroles d'une musique jazz sont détournées de leur sens pour coller au discours familial par la voix soi-disante du grand-père (le musicien).
En ce sens, le film est riche de ces inventivités, toutes là pour interroger le savoir transmis par les parents aux enfants.
Ce film raconte la trahison constante des parents envers leurs enfants, qui leur apprennent que la salière se dit "téléphone" ou qu'on ne peut pas poser le pied dehors et qu'une voiture est nécessaire. Tout parent pourra s'y reconnaître, quand il ne dit pas tout à l'enfant (dans le but de le manipuler et l'amener là où il le souhaite, par exemple). Je ne parle pas là des tabous familiaux. Mais de ces petits arrangements avec la vérité, comme "il n'y a plus de nutella" alors qu'il y en a mais que c'est plus simple de dire ça que de dire qu'on ne veut pas lui en donner. Tout enfant s'y reconnaîtra donc aussi, qui a été à un moment ou à un autre bafoué dans son désir de connaître, par tous les mensonges ou inexactitudes qu'on lui a renvoyés, "parce que le monde est trop complexe" ou "pour le protéger d'une réalité trop cruelle". Ca me rappelle la publicité "C'est quoi cette bouteille de lait, papa ?". Le papa continue à lire son journal, mais quand la question devient plus épineuse "comment on fait les bébés", le père réagit (et explique le fonctionnement de la bouteille de lait pour faire oublier l'autre question). Ca me rappelle aussi Alice Miller qui dénonce le "C'est pour ton bien" censé légitimer des attitudes violentes (au sens moral ou figuré) des parents pour le bien-être (futur) de leurs enfants.
La conclusion ? Le film reste ouvert.
On ne saura pas si l'aînée retournera d'où elle vient à la fin de journée, si elle va oser relever le capot et poser un pied par terre en dehors de la voiture (son père peut, mais elle ?). Moi, j'ai cru que le père passait en coup de vent à l'usine et qu'il n'avait pas coupé le moteur. J'ai pensé que l'aînée mourrait asphyxiée par les gaz d'échappement, le pot étant juste à l'arrière au niveau du coffre.
En tout cas, le film démontre assez bien qu'en voulant trop protéger ses enfants on arrive au contraire.