Livres de cinéma : Maurice Pialat

Quelques semaines avant la mort de Maurice Pialat, Pascal Mérigeau a consacré un livre sur la carrière du cinéaste sobrement intitulé "Pialat".

Quelques mois avant la mort de Maurice Pialat, Pascal Mérigeau publie Pialat, biographie et portrait du cinéaste. Dans l'introduction de l'ouvrage, le journaliste et critique au Nouvel Observateur revient sur la façon dont il a contacté le réalisateur pour l'amener à collaborer avec lui : ce dernier accepte tout d'abord de le rencontrer, se défile, mis à mal par d'importants ennuis de santé, puis finit par refuser après de nombreuses hésitations, de peur que "ça fasse nécro"... Tout l'homme est déjà là, pourtant amoindri.

Un parcours atypique

Avant d'en venir au Pialat cinéaste, Pascal Mérigeau fait un détour par l'enfance du réalisateur de Van Gogh. De nombreuses choses s'y jouent déjà : un fort sentiment d'abandon, la difficulté à trouver sa voie, puis le renoncement à devenir peintre pour pouvoir gagner sa vie... Petit à petit, Maurice Pialat se rapproche des métiers du cinéma et tourne quelques courts métrages. Mais son heure n'est pas encore venue. Ce n'est qu'en 1970, déjà âgé de 45 ans, qu'il aura enfin sa chance avec L'Enfance nue.

La suite de l'ouvrage s'attarde essentiellement sur les tournages de ses dix longs métrages et du feuilleton qu'il tournera pour la télévision en 1971. Car Pascal Mérigeau a compris que c'est là que tout se joue : "lui-même est ce qu'il est parce qu'il a fait les films qu'il a fait comme il les a fait". L'histoire de ses tournages fait aujourd'hui partie de la légende Pialat...

Le cinéaste y bouscule ses comédiens, les pousse dans leurs derniers retranchements jusqu'à obtenir d'eux ce qu'il veut. Il règle aussi ses comptes avec ses proches comme lors de la scène du repas d'A nos amours à laquelle personne ne s'attendait à ce qu'il prenne part (alors qu'il ne devait pas jouer dans cette scène, son personnage intervient et insulte notamment Jacques Fieschi, responsable d'une revue qui avait publié des remarques désobligeantes sur lui faites par un des ses anciens collaborateurs). Les techniciens défilent sur les tournages, renvoyés du jour au lendemain par le réalisateur. Constamment pris de doute, Maurice Pialat a aussi pour habitude d'abandonner le plateau pour rentrer chez lui ou s'arrêter à un café. Six des tournages de ses onze films ont d'ailleurs été arrêtés quelques semaines, voire des mois. C'est dans ce chaos qu'il arrive pourtant à tirer le meilleur de toute son équipe.

L'écorché vif

Pascal Mérigeau dresse un portrait sans complaisance de tous ses débordements, car "sans toute cette chierie, vos films ne seraient pas, et vous ne seriez pas Pialat". Le journaliste rappelle d'ailleurs les sentiments ambivalents que le cinéaste peut faire naître chez les autres : ainsi Richard Anconina, maltraité pendant le tournage de Police, dira que Pialat est "un grand metteur en scène". Malgré son caractère peu accomodant, le cinéaste ne cesse de provoquer l'admiration de ses collaborateurs pour ses films.

Au-delà de la légende de l'homme colérique, Maurice Pialat est avant tout présenté ici comme un écorché vif. Obligé de s'accomoder de ses techniciens, des imprévus du tournage, des limitations en temps et en budget, il n'est jamais satisfait des films qu'il tourne, forcément moins bien que ce qu'il avait en tête. Le réalisateur emmagasine aussi les blessures : les sifflets à Cannes, la retenue des critiques, les louanges faits aux autres qui pour lui ne font pas le même cinéma... Avoir su saisir tous les paradoxes et la complexité de ce mythe du cinéma français n'est pas le moindre mérite de cette biographie.

Boris Bastide

Pialat, Pascal Mérigeau, Grasset, 349 pages, 19,50 Euros.

FBwhatsapp facebook Tweet
Sur le même sujet
Commentaires