Derrière The Substance, le film de genre phénomène avec Demi Moore, c'est elle : Coralie Fargeat. Depuis Cannes - où le long métrage a reçu le Prix du scénario -, la réalisatrice et scénariste française poursuit son parcours enflammé avec les Oscars. The Substance est nommé à cinq reprises - Meilleur film, Meilleur réalisatrice, Meilleur actrice, Meilleur scénario et Meilleur coiffure et maquillage.
AlloCiné est allé à sa rencontre pour obtenir sa réaction après l'annonce des Oscars mais aussi sa nomination au Meilleur film étranger aux César. Elle rend également un hommage émouvant à David Lynch, l'une de ses sources d'inspiration, et revient sur ses premières expériences, rappelant la difficulté d'un milieu qui ne lui a pas toujours ouvert les bras.
AlloCiné : Vous avez partagé votre réaction sur les réseaux sociaux devant l'annonce des nominations aux Oscars. Quelle a été votre première pensée ?
Coralie Fargeat : Ça a été : "C'est énorme, vraiment." Quand le film a été sélectionné à Cannes, je savais que quelque chose changeait pour moi. Et là, je me suis dit la même chose. Je savais que c'était une étape de plus dans mon parcours de réalisatrice, dans le parcours que j'ai, là où je veux aller, les films que j'aime faire. C'était aussi le relâchement d'une tension parce qu'on attend avec beaucoup d'impatience ce moment.
The Substance est le septième film d'horreur nommé aux Oscars dans toute l'Histoire de la cérémonie. Il rejoint une liste prestigieuse : L'Exorciste, Les Dents de la mer, Le Silence des agneaux, Sixième Sens, Black Swan et Get Out.
Tous les films que vous venez de citer remuent des choses dans ce que ça raconte de notre statut d'être humain, de nos peurs, de nos désirs, de nos espoirs, des inégalités aussi. Si je pense à Get Out, le film de genre permet des vraies métaphores très fortes. Ils saisissent les peurs de notre temps, nos tourments de l'ère dans laquelle on vit. Ils peuvent traiter des choses très profondes sous des prismes très divertissants et jusqu'au boutistes.
Il est vrai que je ne considère pas The Substance comme un film d'horreur, plutôt comme un film de genre. D'une manière générale, j'ai du mal avec les catégories de films. C'est comme s'il y avait des films qui étaient plus intelligents que d'autres. Je pense que ce qui compte surtout, c'est : qui fait les films ? Quelle est la manière de raconter ? Après, à chacun de trouver sa forme d'expression.
Ça a été très difficile pendant longtemps, mes projets ont été complètement rejetés.
Laquelle des cinq nominations reçues par The Substance vous a le plus touchée ?
C'est Meilleure réalisatrice, vraiment. Elles m'ont évidemment toutes faites extrêmement plaisir. C'était une joie et un cri pour chacune. Mais je dois dire que c'est celle qui m'a le plus touchée. C'est quand même quelque chose de très symbolique. Il y a eu très peu de femmes dans cette catégorie [Coralie Fargeat est seulement la neuvième cinéaste nommée, ndlr]. Il y a un peu une chasse gardée, on va dire.
Je veux être réalisatrice depuis que j'ai 16 ans, donc c'est quelque chose qui m'habite, qui est profondément ancré dans mon identité. Je me sens vivante et je me sens forte quand je fais des films. C'est mon moyen d'expression. J'ai beaucoup de mal avec la vraie vie et la réalité. Là où je me sens libre, où je me sens totalement maître de moi-même, c'est quand je réalise.
C'est vrai qu'en France, faire du film de genre, c'est très difficile. Ça a été très difficile pendant longtemps, mes projets ont été complètement rejetés. Il y a des moments où on se dit : "C'est peut-être moi qui ai un problème, je ne suis pas assez intelligente ou j'ai vraiment des goûts problématiques." Au bout d'un moment, j'ai décidé de m'accepter complètement et plutôt que de craindre que ça pouvait être une faiblesse, de l'accepter comme une force.
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Vous avez aussi décroché votre toute première nomination aux César dans la catégorie Meilleur film étranger.
C'est vrai que j'ai lu pas mal de commentaires qui regrettaient qu'il n'y ait pas eu plus de nominations. C'était la seule qu'on pouvait avoir. Pour les César, ce qui compte pour définir la nationalité du film, ce n'est pas où le film a été tourné ou la nationalité de la réalisatrice ou du réalisateur, mais c'est qui a financé le film. C'est vraiment les financements du film qui définissent la nationalité du film.
Nous, le film a été financé entièrement aux États-Unis. Selon le critère des César, il est considéré comme un film étranger, comme un film anglo-américain, comme un film qui, du coup, malheureusement, ne peut pas prétendre aux autres catégories, même si quasiment toute l'équipe est française et qu'on a tourné intégralement en France. Puis, moi aussi, je suis Française. Mais ça, ce sont les règles qui sont comme ça et c'était formidable d'avoir cette nomination dans la catégorie à laquelle on pouvait concourir.
David Lynch représente vraiment ce qu'est le cinéma.
Vous serez là le soir des César ? [Les César et les Oscars se déroulent le même week-end, ndlr]
J'espère pouvoir... Honnêtement, je suis dans des avions tout le temps en ce moment, donc un de plus... J'espère que ce sera possible. Là, je vis un jour après l'autre mais j'adorerais pouvoir être aux deux.
Après les Oscars, allez-vous prendre quelques vacances ?
[rires] Il est vrai que cela fait cinq ans que je suis dans un parcours du combattant avec ce film. Depuis, tout s'est enchaîné pour le mieux. C'est un vrai sprint, un vrai marathon, qui est très fatigant à gérer et qui, par moment, peut être assez débordant. Mais c'est aussi une telle joie.
J'ai seulement eu cinq jours de pause pendant les fêtes et dès que je me suis arrêtée, le cerveau s'est vite remis en route pour avoir des idées. J'ai en eu quelques unes d'ailleurs pour le prochain film. Mais je vais prendre le temps de me reposer pour recommencer ensuite.
The Substance est aussi inspiré par le travail de David Lynch. Que suscite en vous sa disparition ?
C'est vrai que ça a été une vraie tristesse, un vrai choc parce que, en tout cas pour moi, il y a vraiment une relation émotionnelle à son cinéma. Ses films m'ont nourri et ont créé en moi des expériences dans lesquelles je pouvais naviguer et dans lesquelles j'avais envie de revenir.
On peut revoir ses films, je pense, de manière presque indéfinie, parce qu'à chaque fois notre cerveau le vit de manière différente. C'est un cinéma qui représente vraiment ce qu'est le cinéma. C'est un monde concret, c'est un espace de liberté et un espace d'aventure qu'on va proposer aux autres, mais où on y met vraiment une part de son âme et une part de son regard.
Il faut rappeler que les films ne tombent pas du ciel.
Sur les réseaux sociaux, des internautes ont retrouvé des images de vous dans le programme pour enfants Les Fées cloches, diffusé dans l'émission TFOU sur TF1. C'est un univers radicalement différent du votre. Que pouvez-vous nous dire sur cette expérience ?
Je galérais à faire mes courts métrages. Je ne trouvais pas de financement. Donc, pour gagner ma vie, j'ai commencé à écrire pour la télé en tant qu'auteure et j'ai commencé à créer des petits programmes courts qui pouvaient me permettre de rester dans un espace créatif, tandis que je continuais à développer mes projets pour le cinéma de mon côté.
C'était quelque chose que j'avais développé avec une amie, Anne-Élisabeth Blateau. Je pense que toute expérience est bonne à prendre. Plutôt que de rester à tourner en rond chez soi, ces jobs peuvent nous nourrir, nous faire rencontrer des gens.
Moi, je ne suis pas actrice, mais il se trouve que pour gagner ma vie, j'avais cocréé ce programme court qui aborde un autre aspect qui est très fort dans mon cinéma aussi : la comédie. C'était pour la jeunesse, donc on avait évidemment certaines limites. On ne pouvait pas faire ce que je fais maintenant, mais il y avait quand même une sorte d'esprit un peu décalé à la Pixar avec une forme d'irrévérence.
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Il faut rappeler que les films ne tombent pas du ciel. Au début, c'est très dur de gagner sa vie en faisant des films. Faire du cinéma, ce n'est pas ce qui vous nourrit au départ. On peut mettre du temps à se chercher, à se trouver, à trouver les gens qui vont avoir envie de faire ce qu'on fait.
Dans ces moments-là, il faut rester vivant. Il faut rester parce qu'on peut très vite déprimer. C'est dur quand on ne rencontre pas forcément l'adhésion. Donc, ça a été ma manière de continuer à me nourrir, puis d'être sur un plateau de tournage, qui est la chose que je préfère au monde.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 30 janvier 2025.