Peaky Blinders, littéralement “aveugleurs à visière”, ont pris d’assaut le monde de la télévision en 2013 et ont passionné, intrigué et choqué un public charmé par leurs aventures délictueuses pendant six saisons riches et puissantes. Si les péripéties et les personnages sont fictifs, la série phare de la BBC s’inspire néanmoins des vrais Peaky Blinders, cette organisation criminelle qui a fait la loi dans les rues de Birmingham entre les années 1880 et 1910.
Le véritable gang, issu de la classe ouvrière britannique, tirait son pouvoir du vol, de la violence, du racket et des paris illégaux. Et leur particularité ? Leurs tenues ajustées et casquettes à visière, celles qui, selon la légende, cachaient des lames de rasoir utilisées pour aveugler leurs ennemis.
Tontons flingueurs
Si l’on peut trouver toutes ces informations dans les livres d’Histoire, Steven Knight, le créateur et scénariste principal de la série, n’a pas eu le besoin de chercher bien loin. Pour écrire son show parfait, il n’a eu qu’à puiser dans ses souvenirs d’enfance et les histoires de famille de ses parents. Dans ses propres souvenirs d’abord, ceux d'une enfance passée dans un petit village du Wiltshire. Son père, George Knight, était forgeron et ferreur de chevaux. Cependant, trois mois après sa naissance, l’entreprise familiale sombre et la famille Knight – dont Steven est le septième enfant – revient à ses racines à Small Heath, au sud-est de Birmingham. Pendant un certain temps, George travaille avec ses frères dans les usines automobiles locales.
Mais grâce à une forge mobile, il recommence à ferrer les chevaux dans les écuries de la ville et dans les chantiers des ferrailleurs. “J’avais l’habitude d’y aller quand j’étais enfant, et là on pouvait voir le monde de Peaky Blinders”, explique Knight. “C'était rempli des derniers vestiges de ce qu’était Birmingham : des trucs volés, de la ferraille, toutes sortes de choses. C’était comme la grotte d’Aladin. Pendant que mon père ferrait les chevaux, je les entendais parler. Il y avait Charlie Strong, que j’ai utilisé dans la série, et Curly, qui était mon grand-grand oncle. Des gens très, très drôles. C’était cette saveur de la fin du vieux Birmingham que j’ai essayé de mettre dans Peaky”. (Royal Television Society, Août 2019).
Steven Knight s'est également inspiré des histoires de famille de ses parents. Tous deux avaient en effet des relations avec des bookmakers illégaux : si sa mère transportait de l’argent dès l’âge de neuf ans, des oncles de son père étaient… de véritables Peaky Blinders ! Petit, ce dernier a eu un aperçu de ce qu’ils étaient en se retrouvant parmi eux dans une pièce enfumée. L’image que son père décrit – la fumée, l’alcool, l’argent et ces hommes impeccablement vêtus, armes en poche dans une ville taudis – a servi d’inspiration au jeune Steven. “[Mes parents] ont vu tout cela à travers des yeux d’enfants, ce qui rend tout plus mythologique - tout est un peu plus sombre, plus lumineux et meilleur. J’étais moi-même enfant lorsque j’ai entendu ces histoires qui ont ainsi été doublement mythifiées.” (BBC History Magazine, 2016).
Souvenirs d'enfance sublimés
C’est cette perception émerveillée qui justifie selon lui l’esthétique particulière de sa série : le communément laid devient ici magnifique, à l’image de cette usine couverte de suie devenue brillante ou mystérieuse dans ses volutes de fumées. Les Peaky Blinders eux-mêmes bénéficient de cette sublimation : dans la vision naïve de Steven enfant – retranscrite dans le show – ils sont résolument cool, mais aussi humains et brisés.
Brisés oui, ça ils le sont certainement, car, sous la plume de Steven Knight, le vice est poussé plus loin. Si les véritables Peaky Blinders ont existé pendant les années 1890 – et même plus tard, comme l’affirme Steven Knight (Esquire, 2022) –, le drame télévisuel, lui, débute en 1919 : un choix avisé du showrunner qui souhaite faire évoluer ses anti-héros dans une Angleterre d’entre-deux guerres industrielle, froide et choquée.
Ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est la fictive famille du crime Shelby que l’on découvre régnant sur les rues de Small Heath, un quartier de Birmingham. Lorsque le show débute, trois des quatre frères Shelby, – Arthur, Thomas, John, protagonistes du show –, reviennent à peine d’une guerre qui les a traumatisés. Et les femmes restées au pays – Ada, la soeur rebelle, et Polly, la tante matriarche – ont quant à elles appris à tout gérer et devraient désormais de nouveau s’effacer… Mais si vous connaissez les deux femmes… : s’effacer au profit des hommes ? Ça, plus jamais ! Tous forment une famille unie pour le meilleur et pour le pire mais par-dessus tout déterminée à élever son rang social.
Classe folle
Élégante et brutale, Peaky Blinders est écrite avec émotion et éloquence et réalisée avec moyens et finesse. Dès lors, le look des Shelby et le paysage qui les entoure sont des aspects primordiaux de la fiction, une scénographie qui définit la vie du clan et des habits luxueux qui sont pour eux un moyen de se protéger et d’occulter les traumatismes endurés – ces mêmes costumes que le père de Steven a eu le privilège de voir en vrai. “Depuis un certain milieu, la richesse n’est pas un numéro sur un compte bancaire mais ce que vous portez que les gens peuvent voir”, affirme le créateur. La fiction met ainsi en scène ce groupe d’anti-héros attachants, ces malfrats violents qui possèdent une classe folle. Émouvants même, ces bandits gagnent, sans l’ombre d’un doute, les faveurs d’un public subjugué qui, même si la série a tiré sa révérence il y a peu, n’a pas fini de les soutenir – aveuglément.