"Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le revivre" avait écrit le grand philosophe américano-hispanique George Santayana, en 1905. Dans la petite commune de Port-Saint-Père, située dans le département de Loire-Atlantique, non loin de Nantes, un passé éminemment douloureux a ressurgi sans crier gare, dans une relative indifférence et amnésie de la société de l'époque, et avec la bénédiction des pouvoirs publics.
En 1994, 25 hommes, femmes et enfants ivoiriens ont vécu six mois retenus dans un parc animalier situé à Port-Saint-Père. Une histoire liée aussi à celle d'un biscuit chocolaté inventé par la marque Saint-Michel en 1985, "Bamboula", qui donnera son nom à ce lieu infâmant : "Le village Bamboula".
Voici la bande-annonce du documentaire...
Ci-dessous, une publicité pour les biscuits Bamboula, datée de 1988...
Sidérant documentaire de 52 min qui a la vigueur d'un uppercut, raconté en voix off par Jean-Pascal Zadi et disponible jusqu'au 6 février prochain sur la plateforme france.tv, Le Village de Bamboula débute son hallucinante histoire par un voeu. Celui de Dany Laurent, concepteur et directeur de ce parc conçu comme un safari africain.
"Faire rêver nos concitoyens..."
"Je crois que la finalité de ce safari, c'est une journée de rêve pour le visiteur, à la découverte d'une faune sauvage". Uniquement en voiture, comme dans les réserves naturelles en Afrique. "Dans notre monde de morosité et de stress, nos concitoyens ont besoin de journées de rêve" poursuit l'intéressé.
Et quitte à rêver, autant voir grand : pourquoi ne pas carrément construire la réplique authentique d'un village africain, en allant jusqu'à faire venir tout le matériel de construction, et l'implanter dans ce safari africain ?
C'est ainsi que, dans le sillage de la mort du président de la Côte d'Ivoire Félix Houphouët-Boigny, en 1993, Dany Laurent recrute une troupe de danseurs et danseuses ivoiriens ainsi que d'autres artisans locaux, pour les installer dans ce village au coeur du parc. Mais il y a plus : ces derniers relèveront uniquement de la législation ivoirienne, le village fonctionnant comme une enclave, un peu à la manière d'une ambassade qui a le statut d'extraterritorialité.
Un problème de santé ? Pas de médecin extérieur, ils seront auscultés par les vétérinaires du parc... Les membres de la troupes et artisans ivoiriens dorment sur un simple matelas posé par terre, ne sont payés qu'une fraction du smic, les enfants qui y travaillent (!) sont aussi déscolarisés, voient leurs passeports confisqués pour les empêcher de sortir... Le 13 avril 1994, c'est l'inauguration en grandes pompes, faite par le Premier ministre ivoirien de l'époque, accompagné par son ministre du Tourisme et de l'environnement.
"Bamboula au Safari-parc"; "Saga Africa aux portes de Nantes"; "Donner l'envie de voyage" titre sans complexes la Presse régionale, mais pas que. Le vers est déjà dans le fruit. Car un tel lieu réveille de vieux démons.
Ceux des infâmantes expositions coloniales et ses zoo humains, qui ont prévalu au temps des empires coloniaux, présentant des villages "typiques" d'un pays ou d'une ethnie, telle l'exhibition de l' "Afrique mystérieuse". Et c'est même la double peine, en raison aussi du passé de la ville de Nantes, qui s'était alors considérablement enrichie grâce au commerce triangulaire et la traite négrière.
Il faudra toute la force d'action d'un gros collectif, baptisé "Non à la réserve humaine", rassemblant notamment en son sein plusieurs ONG et syndicats, pour faire cesser par voie de justice ce qui fut, à juste titre, considéré comme une ignoble et scandaleuse atteinte à la dignité humaine.
"Le Village de Bamboula", raconté par Jean-Pascal Zadi, à voir en replay jusqu'au 6 février sur france.tv