AlloCiné : Vous êtes nouvelle sur la série. Comment cette troisième saison est-elle arrivée jusqu’à vous ?
Anja Marquardt : Oui, je prends la suite d’Amy Seimetz et Lodge Kerrigan qui ont créé la série et ses deux premières saisons. Et bien sûr de Steven Soderbergh qui est en quelque sorte le capitaine de la franchise, et le réalisateur du film indépendant dont la série est adaptée. Je dirais que c’était un mélange de chance et de forces qui s’assemblent dans la bonne direction. Je suis vraiment chanceuse d’avoir eu cet appel.
Vous avez réalisé le film She’s Lost Control sur une assistante sexuelle. Vous arrivez sur la série avec votre culture et une influence européenne ? Comment cela se traduit-il à l’image ?
C’est une question intéressante. La saison 3 de The Girlfriend Experience arrive à un moment où il y a beaucoup de changements culturels. Des conversations se tiennent sur la façon de travailler ensemble, de traiter l’autre, d’être inclusif et sur le fait d’avoir une attitude positive dans le travail spécialement dans le cinéma.
J’ai le sentiment d’arriver sur ce projet à un moment idéal. La chaîne était très ouverte à l’idée de tourner hors des Etats-Unis. En fait, c’était l’idée de Starz de tourner à Londres et de rendre cette série plus internationale. Je viens de Berlin, j’ai vécu longtemps aux Etats-Unis. Ça m’a permis d’apporter mon point de vue et mes influences.
En quoi cela se sent dans votre écriture et votre réalisation ?
C’est une question pour Steven Soderbergh. Peut-être qu’il perçoit quelque chose d’européen dans mon travail. Il se trouve que lorsque je montre mon travail en Europe, les gens me disent que j’ai une approche américaine. Et lorsque je montre mon travail aux Etats-Unis, il y a parfois des gens qui me disent que j’ai une manière de m’exprimer qui est plus européenne… Je pense que je suis un hybride. J’aime le cinéma sous toutes ses formes. Qu’il s’agisse de film plus tournés vers une intrigue, la narration ou de films plus centrés sur les personnages comme c’est la tradition en Europe.
Cette saison s’intéresse à la sexualité et aux interactions entre les gens via les nouvelles technologies. Comment expliquez-vous que le digital ait réussi à ce point à s’immiscer dans la vie intime des gens ?
C’est une question qui fait peur et c’est en partie ce qui m’a amenée à faire cette saison 3. Je ne pense pas qu’il s’agisse simplement de sexualité mais plus globalement de connexion. Comment on interagit avec les gens, comment on fait l’expérience de notre propre humanité quand on est en relation avec les autres. Il y a de plus en plus de distance entre les gens parce que la technologie est omniprésente. Tous ces questionnements me travaillent depuis des années parce que cela a envahi notre réalité. On pourrait penser que l’intimité physique est le dernier bastion de la vie privée, mais non.
Iriez-vous jusqu’à dire que ce n’est plus le sexe qui domine le monde, selon une expression galvaudée, mais bien les nouvelles technologies ?
Je suis une optimiste. Nous avons le choix sur la manière de nous comporter et d’utiliser la technologie pour faire des choses formidables qui auraient été impossibles sans. Mais on a aussi le choix de préserver cette liberté et de ne pas l’utiliser. C’est vraiment une question de choix.
Vous avez réalisé l’intégralité de la saison. Comment avez-vous envisagé les scènes de sexe ?
C’était essentiellement une collaboration entre Julia Goldani Telles qui joue Iris et moi. Mais aussi la coordinatrice d’intimité. Elles étaient parfois deux. Et elles ont été d’une grande aide pour chorégraphier ces scènes et créer l’illusion devant la caméra.
Si vous regardez la série mais aussi le film de Steven Soderbergh, il ne s’agit jamais de traiter la personne comme un objet. Et il ne s’agit pas non plus de nudité. Il s’agit plutôt de savoir de quoi parlent ces scènes émotionnellement, de ce qu’il se passe entre deux personnes.
Diriez-vous que vous portez un regard féminin dans votre façon de filmer ?
Je ne suis pas sûre... Je suis une femme. Je n’y pense pas trop pour être honnête. Je pense aux gens comme des êtres complets, complexes, compliqués, parfois des personnes larguées et contradictoires. Peu importe leur genre. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui nous pousse, ce qui nous fait peur. On est tous largués et compliqués. Ça ne m’aide pas dans mon travail d’avoir ces catégories en tête.
Vous avez fait venir Oliver Masucci, connu notamment pour son rôle dans Dark. Pourquoi ce choix ?
Je suis fan de son travail. C’est un acteur très énigmatique. Et c’est ce que je voulais pour le rôle de Georges Verhoeven qui est une sorte de politicien européen qui ourdit tout un tas de machinations. Il apporte quelque chose de subversif et d’intéressant, c’était vraiment passionnant de travailler avec lui.
Propos recueillis par Emilie Semiramoth le 16 avril 2021.