L'histoire : Jeanne travaille comme auxiliaire dans une maternité de Marseille. Nuit et jour, Jeanne et ses collègues se battent pour défendre les mères et leurs bébés face au manque d’effectif et à la pression permanente de leur direction. Jeanne vit avec Zoé, sa fille de 18 ans, qu’elle élève seule. Lorsqu’un drame survient à la maternité et que Zoé part étudier à Paris, le passé secret de Jeanne resurgit soudain et la pousse à affirmer ses choix de vie.
AlloCiné : Voir le jour mêle habilement l'intime et le collectif, en montrant à la fois un parcours de femme et de mère, mais aussi, dès le début des scènes en équipe, à la maternité...
Marion Laine, réalisatrice et scénariste : On me parle beaucoup du côté social du film et moi je voulais vraiment tricoter justement le social et l’intime. Je ne voulais pas faire un film uniquement social.
Il y a aussi le thème de la reconstruction qui est au cœur de votre film…
Oui, je voulais que ce soit une histoire de reconstruction, de transmission aussi. Le personnage de Brigitte Roüan va transmettre à celui de Sandrine Bonnaire aussi sa passion de la maternité, sa vocation. C’est aussi une histoire de sororité. Je voulais vraiment que les femmes soient dans une entraide et pas dans une rivalité.
Il y a aussi une chose importante que je voulais absolument, c’est qu’une femme puisse s’en sortir sans une histoire d’amour. Elle n’est pas « sauvée » par un homme ! Les films sur l’amour sont magnifiques, mais là je ne voulais pas de ça. Je voulais qu’elle s’en sorte toute seule. C’était mon challenge. En revanche, j’avais envie de belles histoires d’amitié, sans en faire le sujet, parce que j’aime bien le fait que ça soit en sous-couches, que ça soit ténu.
Voir le jour est l'adaptation de Chambre 2 de Julie Bonnie. Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter à l'écran ce livre ?
C’est son rapport à la maternité ; la façon dont elle parle de la grossesse de ces femmes, et elle de son travail. Je trouvais ça très intéressant. J’avais envie d’un film lumineux, un film à l’image d’une grossesse qui se passe bien. Juste le quotidien de ces femmes extraordinaires, dans le sens "extra ordinaires". Ces femmes simples mais qui détiennent quand même la mort et la vie entre leurs mains.
Avez-vous fait beaucoup de recherches, repérages ? Vous aviez une solide matière première avec ce livre justement...
Oui j’avais déjà beaucoup de matière. Il y a tellement d’anecdotes dans ce livre que je ne pouvais pas toutes les utiliser. Ensuite, j’ai vraiment pris témoignage de plusieurs sages-femmes. Il y a une amie de ma fille ainée qui fait des études de sage femme, donc je me suis inspirée d’elle. Quand le scénario était terminé, je l’ai fait lire à une sage-femme.
J’avais fait des repérages dans plusieurs maternités et il y a une maternité avec laquelle on a vraiment eu un excellent contact, un excellent rapport. C’est là où j’ai tourné mes images documentaires. A cette chef des sages-femmes, j’ai fait lire le scénario et elle m’a elle-même aussi apporté des anecdotes, des détails qui ont enrichi mon scénario.
Avez-vous eu des retours de la profession en projection également ?
Oui, j’ai eu des retours de sages-femmes et je suis tellement rassurée et émue. Il y a une femme auxiliaire, par exemple, qui était à la retraite depuis déjà plusieurs années et qui était émue aux larmes après une avant-première. Elle me disait qu’elle retrouvait justement vraiment toute l’ambiance. Elle avait travaillé 55 ans en hôpital comme auxiliaire.
C’était tellement tout ce qu’elle ressentait et la façon dont on méprisait son métier, la façon dont elles étaient invisibles aux yeux de tous les autres à part de quelques sages-femmes qui étaient plus attentionnées avec elles. Que, d’un seul coup, une auxiliaire soit héroïne comme elle l’avait été… Elle disait qu’elle avait la nostalgie de ses copines, de ses collègues de travail. Toutes me disent que c’est très juste. Je ne voulais pas faire de documentaire et ce n’est pas un documentaire, mais le ressenti est là.
Nous l’évoquions en début d’interview, il y a aussi une thématique sociale dans le film, montrant par exemple certains manquements…
Oui, ça n’est pas qu’un film social, il y a tout l’aspect de la vie de cette femme. Mais si ça peut aider ce corps de métier... Ce sont d’elles dont on aura besoin demain plus que jamais. Mais je suis assez pessimiste. Quand on voit que dans la loi Ségur, même le nom des sages-femmes n’est pas évoqué… J’ai reçu des lettres de sages-femmes qui sont accablées du fait qu’elles « n’existent pas ». Elles ne sont pas citées.
Les femmes ne se sont pas arrêtées d’accoucher quand il y a eu l’épidémie. Elles ont continué à accoucher ; elles se sont tellement démenées. Elles ont une telle vocation. Ce métier est un sacerdoce. Même après 40 ans de service, ces femmes sont toujours émerveillées de l’accouchement. Quand il y aura plus d’hommes sages-femmes, peut être que les choses changeront ? Le métier sera peut être plus défendu ?
D’ailleurs, dans votre film le féminin est vraiment mis au premier plan, et pas seulement à l’écran. Quand on lit le générique, énormément de femmes ont participé au film, de la production à la composition de la musique…
Il y a une prime à la parité, mais pour nous c’était le contraire, puisqu’il y avait plus de femmes que d’hommes, ce qui est exceptionnel. Mais c’est drôle car tout le monde remarque qu’il y a énormément de femmes au générique. Mais c’est un peu un hasard. La compositrice Béatrice Thiriet, par exemple, a fait la musique de mon film précédent, Ce soir-là, pour France 2. Pour la productrice, c’est une rencontre que j’ai faite il y a 5 ans et on a eu envie de travailler ensemble. Les choses se sont faites un peu comme ça.
La musique occupe une place importante dans le film, avec d’ailleurs, sauf erreur de ma part, une chanson chantée par Sandrine Bonnaire elle-même…
La musique était très importante pour moi dès le scénario. J’ai adoré le travail de Béatrice Thiriet car elle a vraiment senti le film. La musique est plus qu’un accompagnement, c’est un rôle à part entière. Pour toute la partie à l’hôpital, je lui avais demandé de jouer avec le bruit de l’hôpital. J’avais été très marquée par tous ces bruits. Je voulais tricoter cette musique-là avec la musique originale de la compositrice. Il y a aussi une grande part de variété.
Pour moi, la variété est vraiment synonyme de nostalgie, de souvenirs… Elle abolit les classes sociales, et il y a une question générationnelle. Faire un panel de toutes les mères, toutes les générations. C’était important qu’il y ait toutes ces femmes, jusqu’à celle qui meurt avec la chanson Mamie Blue de Nicoletta.
Quant à Sandrine Bonnaire, elle a adoré la partie « rock » du scénario et elle connaissait le parcours de Julie Bonnie. Elle m’a dit « interpréter sa vie, je veux ! ». Elle était à fond, elle a voulu chanter. Julie lui a écrit la chanson, et on s’est vraiment éclatées à tourner ce clip. Sandrine Bonnaire écrit son album. Elle m’a fait écouter une première chanson qu’elle a écrite sur sa sœur autiste, qui s’appelle Courir. On se demandait si on allait faire figurer la chanson du film ou pas sur l’album, mais comme elle sonne très années 90, il faudrait peut être qu’on la réenregistre.
C'est votre troisième collaboration avec Sandrine Bonnaire, une comédienne que l'on suit depuis 40 ans depuis A nos amours...
Sandrine Bonnaire fait effectivement partie de notre panorama français. C’était vraiment elle et Juliette Binoche. J’étais vraiment heureuse, car c’est d’abord Sandrine pour le Cœur simple, et puis après j’ai contacté Juliette sur A cœur ouvert, et ensuite à nouveau Sandrine, et puis là j’avais un projet à nouveau avec Juliette.
J’aime bien ce duo d’actrices. Mon rêve serait de les mettre dans un même film toutes les deux. L’une a fait de la figuration dans le film de l’autre (Le Meilleur de la vie, de Renaud Victor (1985)). Au début de leurs carrières, elles étaient très proches et la vie les a éloignées, et donc mon petit côté lutin aimerait les faire se retrouver dans un film parce qu’elles n’ont jamais joué ensemble. Je suis en train de travailler à les faire se rencontrer. Je travaille sur un scénario avec Cécile Vargaftig.
Propos recueillis par téléphone le 10 août 2020