Série anthologique de dix-huit courtes histoires animées, Love, Death + Robots a su séduire les spectateurs avec ses histoires NSFW de yaourts, de robots, de monstres, de créatures légendaires et d’extra-terrestres. Produite par David Fincher et Tim Miller, la série est le fruit d’un énorme travail collaboratif entre des scénaristes et des boites de production des quatre coins du globe. Parmi ces films, deux ont été réalisés par des sociétés françaises : Studio La Cachette a offert le délicieusement gothique "Un Vieux Démon" tandis que Unit Image a proposé le très impressionnant "Derrière La Faille". En attendant une potentielle saison 2, retour d’expérience avec ces deux studios qui manipulent des techniques totalement différentes.
BLUR STUDIO AUX COMMANDES
Cette création inédite a commencé avec Blur Studio, la société de production d’effets spéciaux, d’animation et de design fondée par Tim Miller (Deadpool), qui a chapeauté tous les courts-métrages de Love, Death + Robots en termes d’organisation et de communication. C’est elle qui est allée chercher ces boites de productions françaises, comme nous le confie Ulysse Malassagne, co-fondateur de Studio La Cachette et directeur d’animation : "Owen Sullivan, le réalisateur de "Sucker of Souls" (Un Vieux Démon, en VF) a été choisi par Blur. Il avait vu nos travaux sur internet et notamment le trailer pour "Kairo". Il souhaitait pour son film un cocktail d’influences japonaises et européennes énergétiques qui correspondait parfaitement à nos ambitions."
Pour Maxime Luère, coréalisateur de "Derrière La Faille", Blur "est un studio avec qui nous entretenons un grand sentiment de respect mutuel. Cette vision collaborative et internationale pour créer des projets ambitieux nous a tout de suite séduits." Les deux studios français se sont vus attribuer les scénarios des deux épisodes et ont suivi les storyboards afin d’en travailler la direction artistique et l'exécution ensuite.
EIGHTIES, GAMING ET TECHNIQUES MIXTES
Unit Image, studio d’animation, spécialisé en CGI et VFX de cinématiques de jeux vidéo, publicités et films et qui a reçu de nombreuses récompenses, a travaillé sur The Division, Beyond Good And Evil 2 et la publicité Donald Duck pour Disneyland Paris notamment. Dominique Boidin, coréalisateur sur "Derrière La Faille" nous explique qu’ils avaient "grandi dans les années 80, les designs sont donc influencés par les films de science-fiction de cette époque. C’était un régal de concevoir des décors et vaisseaux avec pour seule contrainte de servir au mieux l’histoire." Pour rappel, "Derrière La Faille" suit l’histoire d’un équipage d’un vaisseau à la dérive qui se réveille à des années-lumière de sa trajectoire d’origine.
Le storytelling était un facteur très important pour eux, selon Maxime Luère : "Nous avons pensé dès le début du projet à une fin ouverte à la Inception avec un questionnement profond du spectateur sur la question de la réalité. Sur Derrière la Faille, beaucoup de travail a donc été fait pour que la séquence finale perturbe le spectateur et laisse ainsi une trace indélébile dans son esprit." Pour "Derrière La Faille", Unit Image a utilisé la technique de la performance capture. Dominique Boidin explique que "l’animation du corps et du facial est capturé pour les copier-coller sur un personnage 3D. Ce personnage 3D est directement inspiré de l’acteur avec des ajustements, pour ainsi obtenir le personnage parfait pour l’histoire qu’on veut raconter." La mise en boîte de ce court impressionnant leur a pris un peu plus d’un an.
De leur côté, Studio La Cachette, qui a été fondée en 2013 par quatre anciens élèves de l’école des Gobelins, est spécialisée dans l’animation traditionnelle et dans le storytelling. Eux aussi se sont inspirés des classiques des années 80-90 comme en témoigne Ulysse Malassagne, co-fondateur de Studio La Cachette et directeur d’animation : "Owen (le réalisateur) et nous avons tout de suite été d’accord sur les influences que nous voulions suivre. Il nous a été évident que nous voulions rendre hommage à l’animation japonaise des années 80-90 comme Akira, Ninja Scroll, Vampire Hunter D, Wicked City mais également aux films d’action et d’horreur de cette époque, tels que Terminator, The Thing ou Evil Dead."
La fabrication du court "Un Vieux Démon", qui suit une équipe de mercenaires armée de chats qui affronte un démon assoiffé de sang libéré d’un site archéologique, a nécessité à Studio La Cachette près de huit mois de travail minutieux : "Nous avons tout fabriqué image par image en animation traditionnelle. Nos techniques sont les mêmes que les vieux dessins animés sur papier, sauf qu’au lieu de dessiner sur des feuilles, nous pouvons aujourd’hui directement dessiner sur nos écrans de tablettes numériques." Par ailleurs, fait étonnant : Studio La Cachette n’utilise jamais d’animation 3D dans leurs productions, ce qui fait de "Un Vieux Démon" le seul court de Love, Death + Robots entièrement dessiné en 2D traditionnelle !
UNE SYNERGIE MONDIALE A LA SAUCE NETFLIX
Si Netflix et Fincher ont apporté un regard bienveillant sur le projet entier, c’est surtout Blur Studio qui a tout supervisé et fait le lien entre le géant américain et les équipes de production, comme l’indique Ulysse Malassagne, de Studio La Cachette, "avec qui [ils ont] eu de très bons rapports." Même son de cloche pour Maxime Luère, de Unit Image : "On était régulièrement en discussion avec Tim et les producteurs de Blur Studio sur l’artistique, les personnages et le storytelling. Pour nous, ce projet a révélé une synergie incroyable avec des milliers de gens sur toute la planète pour aboutir à ce projet colossal. On y voit une révolution dans le domaine de l’animation, et le fait que la série soit diffusée sur Netflix est une grande fierté pour nous."
Le passage la plus compliqué à créer pour Unit Image dans "Derrière la Faille" était la scène de sexe comme l’explique Dominique Boidin : "La première fois qu’on a lu le script et qu’on a vu la scène de sexe en 3D, on leur a tout de suite répondu que c’était impossible et que ça n’avait jamais été fait auparavant. Et les producteurs nous ont alors répondu que oui, c’était exactement pour ça qu’ils voulaient le faire !" Pour Maxime Luère, les coulisses de cette scène n’ont rien de torride : "il est huit heures du matin, ils [les acteurs Madeleine et Henry, ndlr] ont des combinaisons de motion capture moulantes et grotesques, 50 techniciens les regardent, et la musique langoureuse est remplacée par les indications d’un réalisateur impatient !" C’est surtout les interactions de peau qui étaient difficiles à reproduire, ils ont donc réalisé beaucoup de plans en animation 3D traditionnelle, avec la méthode du "keyframe".
Dominique Boidin rappelle aussi que les décors créés ont été travaillés dans un souci de réalisme maximal : "Ça prend des mois et des mois et il faut souligner le talent et l’abnégation de toute l’équipe au studio qui ont rendu cette "magie", du design, décor, personnage rigging, animation, éclairage, compositing, production, à la R&D et l’administration, mais aussi au sound design et musique." Un travail d’équipe extraordinaire qui n’a pas empêché de glisser des indices dans le court qui a suscité beaucoup de réactions, notamment sur son twist final, comme l’explique Maxime Luère : "Si vous êtes attentif, vous pouvez voir quelques indices sur la réelle forme de Greta disséminés un peu partout dans le film. Mais je n’en dirais pas plus, à vous de chercher !"